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Guerre en Ukraine : la Russie a reboulonné Staline... et réécrit l'Histoire

logo de Challenges Challenges 23.06.2023 11:54:36 Michel Winock
Staline

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a été l'occasion pour le nouveau tsar du Kremlin de célébrer, avec la "grande guerre patriotique", le rôle de Staline. Dans les sondages, celui-ci arrive en tête des héros de la patrie. Tout se passe comme si le Rapport Khrouchtchev, lu devant le XXe Congrès du parti communiste de l'Union soviétique en 1956, était oublié.

Dénonçant le "culte de la personnalité", le rapporteur se moquait de tous ces films, de tous ces livres, de tous ces discours qui faisaient de Staline "le plus grand capitaine de l'Histoire": "Staline a beaucoup tenu à se faire passer pour un grand chef militaire. De diverses manières, il s'efforça d'inculquer dans le peuple l'idée que toutes victoires rapportées par la Nation soviétique durant la grande guerre patriotique devaient être uniquement attribuées au courage, à l'audace et au génie de Staline."

Khrouchtchev montrait aussi comment Staline avait repoussé, en juin 1941, tous les avertissements, toutes les alarmes, tous les renseignements de ses propres services qui lui révélaient une attaque imminente de Hitler sur l'URSS. Il ne voulait pas y croire, il faisait confiance à Hitler, inébranlable, sans inquiétude. Cette confiance dont il ne gratifiait personne, il l'a donnée à Hitler, sûr de la solidité du pacte germano-soviétique signé par Ribbentrop et Molotov à Moscou, le 23 août 1939.

Ce pacte stupéfiant entre deux ennemis en apparence inconciliables a permis à Hitler son entrée en guerre contre la Pologne avec la certitude qu'il n'aurait pas à se battre sur deux fronts comme le Kaiser en 1914. L'histoire de ce traité de non-agression entre les deux Etats totalitaires, Jean-Jacques Marie nous en fait un récit aussi vivant qu'informé dans son nouvel ouvrage La Collaboration Staline-Hitler (Tallandier).

Dans cette affaire d'alliance renversée, il faut comprendre, à l'insu des militants de l'antifascisme, que pour Staline - et c'était la doctrine officielle du Komintern - il n'y avait pas de différence fondamentale entre les démocraties libérales et les fascismes : ils étaient du même camp capitaliste.

Maurice Thorez, chef du parti communiste français, l'a clairement expliqué en 1934 : "L'expérience internationale prouve qu'il n'y a pas de différence de nature entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Ce sont deux formes de la dictature du capital. Le fascisme naît de la démocratie bourgeoisie. Entre le choléra et la peste, on ne choisit pas." Dès lors, l'important consiste à défendre par tous les moyens l'existence de l'Etat soviétique.

Cependant, en cette même année 1934, Staline qui n'a guère réagi à l'arrivée de Hitler au pouvoir, commence sérieusement à s'inquiéter des visées géopolitiques de l'auteur de Mein Kampf. Hitler, en effet, a entrepris une politique de détente avec la Pologne qui inquiète fortement Staline. C'est au cours de cette année 1934 qu'il décide un renversement de sa politique mondiale : face à l'Allemagne hitlérienne qui apparaît comme le plus grand danger, il préconise un rapprochement avec les démocraties occidentales et engage les partis communistes dans la voie des fronts populaires. L'antifascisme devient le mot d'ordre.

Cependant, dans le même temps, ce que montre bien l'étude de Jean-Jacques Marie, Staline ne perd pas de vue une entente possible avec Hitler. Il aura jusqu'en août 1939 deux fers au feu : soit l'alliance ostentatoire avec les démocraties occidentales au nom de l'antifascisme-antinazisme; soit un pacte de réalpolitique avec l'Allemagne nazie. L'important, dans un cas comme dans l'autre, est de tirer le meilleur profit pour l'URSS. La capitulation des Britanniques et des Français à Munich en 1938 pousse Staline à la seconde solution, à la stupeur de tous les militants de l'antifascisme, dont certains rompront à jamais avec le communisme... 

Lire aussiLa dérive fascite du régime de Poutine

Staline a cru le pacte germano-soviétique durable. Les deux parties y trouvaient leur compte, à commencer par le partage de la Pologne, à la suite du protocole secret du pacte qui fixait la limite en territoire polonais des influences allemande et russe. Dans l'esprit de Hitler, ce pacte était circonstanciel et provisoire, une étape dans sa conquête de l'Est et de "l'espace vital" du Reich. Dans l'esprit de Staline, il en a été autrement, jugeant la collaboration avec l'Allemagne inscrite dans la durée. Il parlera donc d'"attaque-surprise" lancée par son partenaire allemand. Et les premiers mois de la guerre se révèlent catastrophiques pour les Soviétiques, sans préparation.

De toute cette histoire, la mémoire de l'ancien maître du Kremlin en sort avilie. Mais son héroïsation, interrompue après la phase de déstalinisation consécutive au Rapport Khrouchtchev, est aujourd'hui redevenue un des thèmes de l'histoire falsifiée d'un Etat autoritaire qui, l'interdiction de l'association Memorial le prouve, réécrit l'histoire au mépris de tout respect de la vérité.

vendredi 23 juin 2023 14:54:36 Categories: Challenges

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