Elu de la majorité, Daniel Mbau Sukisa préconise également d'établir un registre des biens exigés pour le mariage selon les différentes coutumes du pays.
« Seize vaches, au moins cinq chèvres, des outils pour la ferme, des machettes et des pièces de wax pour ma mère et mes tantes : c'est ce qui a été demandé pour ma dot. Il ne fallait pas moins de 5 000 dollars [environ 4 570 euros] pour l'achat de tous ces biens. Mon fiancé ne gagnait que 250 dollars par mois à ce moment-là », raconte Amani (son prénom a été changé), une architecte d'intérieur originaire de l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Invitée à revoir ses exigences à la baisse, la famille de la jeune femme n'a rien voulu entendre. Une intransigeance qui a poussé le couple à la rupture après quatre ans de relation. « Certains disaient que ma famille me vendait », se souvient la trentenaire.
Cette situation n'est pas rare en RDC, où le prix du mariage s'est envolé ces dernières années. Sans même la dot, il faut compter plusieurs milliers d'euros pour l'achat des vêtements des différentes cérémonies (coutumière, civile et religieuse), les frais d'enregistrement du mariage à l'état civil, la location de la voiture et de la salle des fêtes, le traiteur. Des dépenses faramineuses dans un pays où le salaire minimum plafonne à 120 dollars par mois et où le chômage avoisine les 50 %, même en tenant compte de l'économie informelle, selon Armand Lambert Kitenge, expert en gestion des changements économiques.
L'inflation des coûts pour les futurs époux est telle que le Parlement congolais envisage de légiférer sur le sujet. Daniel Mbau Sukisa, un député du Mouvement de libération du Congo (MLC, membre de la majorité), défend une proposition de loi qui plafonne le montant de la dot à 1 million de francs congolais (380 euros), « hormis la liste des biens à donner suivant les coutumes des époux ». En cas de versement d'un montant supérieur, le surplus devra être remboursé. L'initiative, qui implique de modifier le code de la famille, a été jugée recevable début mai par l'Assemblée nationale et doit désormais être examinée en commission.
« Comme il n'y a pas de plafonnement, les parents de certaines jeunes femmes demandent entre 1 000 et 5 000 dollars en liquide. D'autres exigent des biens qui ne relèvent pas de leurs coutumes : ils veulent des voitures, des téléviseurs à écran plat 75 pouces ou des kits complets de Canal+ avec un abonnement de deux ans. La dot a perdu tout sens coutumier. Je vois des hommes s'endetter pour se marier et souffrir juste après les festivités », déplore le député, joint par téléphone.
Pour ne pas trop heurter les familles, l'élu préconise d'établir un registre des biens exigés pour le mariage selon les différentes coutumes du pays, ainsi que la création d'une « clause de convention numéraire » pour pérenniser la discussion entre les proches des futurs époux et permettre à l'homme « d'aller au-delà du montant indicatif légal s'il le souhaite ».
Une initiative salutaire pour Jeancy Kapeta, 35 ans, attaché administratif d'une société de fabrication d'objets en plastique : « Mon ex-petite amie m'a quitté parce que je n'avais pas suffisamment d'argent pour l'épouser. Si cette proposition de loi passe, ça me facilitera les choses. Avec mon modeste salaire, je pourrai quand même réunir l'argent et tout ce qu'il faut pour me présenter à ma future belle-famille. Je pense que ce sera un véritable soulagement pour les jeunes hommes de ma condition. »
Jean Bondo, lui, a vécu une tout autre expérience. « Les parents de ma fiancée n'avaient exigé aucune somme d'argent. Sur la liste qu'ils m'avaient fournie, il était marqué "Argent : au choix". Tous les parents ne sont pas cupides. Et je pense que l'Etat ne doit pas s'immiscer dans des affaires intimes qui relèvent de la famille », fait savoir le trentenaire.
C'est également l'avis de la députée Christelle Vuanga, présidente de la commission genre, famille et enfants de l'Assemblée nationale, qui s'oppose à cette modification du code de la famille. « La femme n'a pas de prix et on ne saurait estimer sa valeur en argent. Un homme qui estime que la dot demandée est démesurée doit refuser de se marier. C'est la moindre des choses », souligne-t-elle.
Face à toutes ces difficultés et contraintes, certains amoureux optent pour le « yaka tofanda », qui désigne l'union libre en lingala. A leurs yeux, le mariage n'a plus un caractère obligatoire. D'autres montent des stratagèmes et mettent leurs parents devant le fait accompli. « Mon frère a mis sa petite amie enceinte. Cette dernière a été renvoyée de chez elle et habite désormais sous notre toit familial. Nous ne pouvions pas la rejeter. Elle partage la même chambre que mon frère », raconte une habitante de Kinshasa.
Si certains finissent par régulariser leur situation, pour d'autres la cohabitation s'impose en mode de vie. « C'est vrai que la dot fait partie de nos coutumes, mais nos parents doivent se souvenir qu'ils ne nous vendent pas, qu'ils ne font pas un retour sur investissement ou un business », déclare Amani, la jeune architecte d'intérieur.