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A Tunis, ballet diplomatique de l'Europe sur le dossier migratoire

logo de Le Monde Le Monde 20.06.2023 22:24:40 Nissim Gasteli
Le ministre français de l'intérieur, Gérald Darmanin, aux côtés de son homologue allemande, Nancy Faeser, à Tunis, le 19 juin 2023.

Dans la foulée de dirigeants européens, le ministre français de l'intérieur et son homologue allemande ont fait le déplacement pour proposer d'aider la Tunisie à contenir les flux de migrants vers l'Europe.

L'inquiétude de l'Europe face à la nette hausse des arrivées de migrants depuis la Tunisie, au cours des premiers mois de l'année, ne faiblit pas. Pour tenter d'inverser la courbe à l'approche de l'été, la France et l'Allemagne ont dépêché dans la capitale tunisienne leurs ministres de l'intérieur respectifs, Gérald Darmanin et Nancy Faeser, pour une visite de deux jours. A l'issue d'une rencontre avec le président Kaïs Saïed, le ministre français a annoncé le déblocage d'une « aide bilatérale » de la France : 25,8 millions d'euros afin de soutenir les efforts locaux dans la lutte contre la migration clandestine.

Concrètement, ces fonds devront servir « à acquérir les équipements nécessaires et organiser des formations utiles, notamment des policiers et gardes-frontières tunisiens pour contenir le flux irrégulier de migrants et favoriser le retour de ces migrants », a-t-il précisé lors d'une conférence de presse.

Autrement dit, apporter le soutien matériel et humain à Tunis afin d'empêcher les départs et favoriser les interceptions en mer. La contribution personnelle de la France vient s'ajouter aux 100 millions d'euros prévus au même effet et promis par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, lors de sa visite à Tunis le 11 juin.

Dans la matinée, les deux ministres ont rencontré leur homologue tunisien Kamel Feki, puis le président tunisien Kaïs Saïed qui a exprimé son refus de faire de son pays le garde-frontalier de l'Europe, une position qu'il n'a cessé de répéter au cours des dernières semaines. « Je réitère à nouveau que la Tunisie ne peut surveiller que ses propres frontières », a-t-il affirmé au cours de la rencontre, selon le compte rendu diffusé par la présidence tunisienne.

M. Saïed a insisté sur le fait que la Tunisie ne serait pas non plus « un pays d'installation » des migrants, alors que les Européens se sont mis d'accord le 8 juin sur un « pacte migratoire ». Ce dernier ouvre la voie notamment à l'expulsion de migrants vers des « pays tiers sûrs » qui pourraient éventuellement inclure la Tunisie, laquelle est une terre de transit pour de nombreux subsahariens cherchant à gagner l'Europe.

Or, les autorités de Tunis ont toujours refusé d'accueillir ces ressortissants non tunisiens indésirables en Europe. Tout comme elles ont décliné les offres européennes d'abriter sur leur sol une « plate-forme régionale de débarquement » des migrants naufragés en Méditerranée, une formule envisagée en 2018 par le Conseil européen pour externaliser dans les pays du Sud le traitement des demandes d'asile.

Mais, sur le reste, les propos de Kaïs Saïed sont contredits par le rôle actif de la Tunisie dans la lutte contre l'immigration vers l'Europe : plus de 23 000 personnes parties depuis le littoral tunisien ont déjà été empêchées de rejoindre l'Italie par la garde nationale maritime au cours des cinq premiers mois de l'année, soit trois fois plus que sur la période correspondante de 2022, selon les données Forum tunisien des droits économiques et sociaux.

En se rendant dans la capitale tunisienne, M. Darmanin a bien compris cette posture ambivalente. « Nous sommes sensibles à l'idée que la Tunisie ne soit pas le garde-frontière de l'Union européenne, ce n'est pas sa vocation », a-t-il déclaré, en référence aux propos du président tunisien. Il n'en a pas moins souligné la nécessité de travailler conjointement avec le pays pour limiter au « minimum » les départs depuis ses côtes. En échange, Paris s'engage à aider Tunis à faire face aux flux migratoires en provenance des pays du sud du Sahel, grâce à ses « relations diplomatiques privilégiées » avec ces mêmes Etats.

En décidant d'équiper et d'entraîner les gardes-frontières tunisiens, la France fait le choix de l'approche sécuritaire dans un pays en plein virage autoritaire alors que M. Saïed s'est accaparé tous les pouvoirs au cours de ces deux dernières années. La question de la situation des droits humains et des libertés individuelles a, semble-t-il, été totalement évitée lors de ces rencontres.

Paris ferme par ailleurs les yeux sur les nombreuses accusations dont la garde nationale maritime fait l'objet de la part des exilés - y compris des personnes interrogées par Le Monde - pour des actes de violences lors des opérations d'interception en mer dont certains auraient mené à des naufrages. Des agissements dénoncés par plusieurs organisations de la société civile. La priorité de la France est de renforcer sa coopération avec les autorités tunisiennes - notamment sur le plan sécuritaire - dans l'espoir d'obtenir une meilleure réadmission de migrants tunisiens résidant illégalement sur son sol.

Le déplacement conjoint du duo franco-allemand intervient dans le sillage de l'initiative diplomatique italienne pilotée par Giorgia Meloni au cours des dernières semaines. La présidente du conseil italien a effectué une première visite le 6 juin, suivie d'une seconde cinq jours plus tard en compagnie du premier ministre néerlandais Mark Rutte et d'Ursula von der Leyen. Mme Meloni a ainsi pris les devants dans le dossier tunisien alors que l'Union européenne s'inquiète au plus haut niveau des difficultés économiques que traverse le pays.

La France et l'Allemagne semblent s'être tenues loin de cette initiative qui s'est conclue par les annonces de la présidente de la Commission européenne d'une assistance financière à la Tunisie à hauteur de 900 millions d'euros, conditionnée toutefois à la signature par Tunis d'un plan du FMI prévoyant un prêt de 1,9 milliard de dollars (1,75 milliard d'euros) en échange de réformes structurelles.

A Tunis, le ministre français n'a pas manqué de rappeler à la presse que l'enveloppe annoncée par Ursula von der Leyen était permise grâce au budget de l'Union européenne auquel Paris et Berlin contribuent à hauteur de 40 %. « Je pense que, sans le couple franco-allemand, il ne peut pas y avoir d'Europe qui fonctionne », a-t-il insisté. Par ailleurs, M. Darmanin n'a jamais caché son scepticisme face à la politique de la dirigeante italienne, qu'il avait notamment jugé « incapable de régler les problèmes migratoires ».

Questionné sur ce chassé-croisé des dirigeants européens, il a préféré mettre en avant les points d'entente comme « l'accord historique » sur le pacte migratoire européen obtenu grâce à un « appui » de l'Italie sur la « proposition française », a-t-il précisé. Emmanuel Macron a du reste convié M. Saïed à participer au sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui se tiendra les 22 et 23 juin à Paris.

mercredi 21 juin 2023 01:24:40 Categories: Le Monde

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