L'Obs

La dissolution des Soulèvements de la Terre, un casse-tête juridique pour le gouvernement

logo de L'Obs L'Obs 19.06.2023 21:24:22 Margaux Otter

Dissoudra, dissoudra pas ? Le 28 mars, quelques jours après les violents affrontements à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, Gérald Darmanin annonçait son intention de dissoudre le mouvement écologiste des Soulèvements de la Terre. Deux mois ont passé, les conseils des ministres se sont succédé, mais la dissolution promise n'a toujours pas été prononcée.

Le dossier a bougé la semaine dernière, après la détérioration d'une exploitation maraîchère à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique) lors d'une manifestation itinérante contre l'exploitation du sable à des fins industrielles à Saint-Colomban, à l'appel, notamment, des Soulèvements de la Terre.

Des élus se sont émus des actions coups de poing menées lors de cette manifestation. A tel point que lors du conseil des ministres, Emmanuel Macron a pressé Elisabeth Borne de donner rapidement son feu vert au décret de dissolution, selon une source proche du gouvernement. Dans la foulée, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, avait indiqué aux sénateurs que le dossier était « en cours de constitution de manière à être absolument impeccable ». La fin du mouvement pourrait bien être actée mercredi 21 juin.

« Dissoudre un mouvement aussi large que Les Soulèvements est profondément antidémocratique », s'indigne auprès de « l'Obs » Léna Lazare, porte-parole du collectif. Selon l'activiste, le gouvernement, faute de pouvoir « récupérer le mouvement », décide de « criminaliser ses militants ». Contacté, le ministère de l'Intérieur n'a pas donné suite à nos questions.

Mais alors, pourquoi ça traîne ? Pour des questions de statut, d'abord. Les Soulèvements de la Terre ne sont pas une association mais un collectif, une organisation qui regroupe de façon informelle plus d'une centaine de groupes associatifs (Attac France, Youth for Climate, les Amis de la Terre, Extinction Rebellion, la Confédération paysanne, etc.) et de nombreux soutiens individuels.

« Les Soulèvements ne sont pas une personne morale mais un "groupement de fait" », explique Sébastien Mabile, avocat spécialiste de l'environnement. Ce terme désigne les associations de personnes formées librement, sans déclaration officielle aux autorités, caractérisées par exemple par un slogan, une identité visuelle ou des canaux de communication spécifiques.

Une qualification contestée par le mouvement, qui se désigne lui-même, selon « le Monde » comme un « vaste mouvement hétérogène et composite », une « grande alliance » au fonctionnement « horizontal ». A l'annonce de la dissolution, plus de 75 000 personnes ont signé une pétition pour rendre publique leur appartenance aux Soulèvements de la Terre, arguant que le mouvement « ne pouvait pas être dissous, car il est multiple et vivant ». Au total, indique Léna Lazare, « Les Soulèvements, ce sont près de 100 000 sympathisants et 140 comités locaux ». « Comment pourrait-on nous dissoudre ? » s'exclame-t-elle.

Pour le gouvernement, le dossier est donc particulièrement épineux, malgré une plus grande marge de manouvre permise par l'adoption de la loi séparatisme. Auparavant, la dissolution des associations ou groupements de fait pouvait être prononcée si ceux-ci provoquaient « des manifestations armées dans la rue ». Mais depuis 2021 et la réforme du Code de la Sécurité intérieure, les associations ou groupements de fait peuvent être dissous en cas « d'agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ». Une disposition sur laquelle compte Beauvau, qui reproche notamment aux Soulèvements de « prôner et justifier la pratique de l'éco-sabotage ».

Pour autant, ce motif pourrait ne pas trouver grâce aux yeux de la plus haute juridiction administrative du pays, « très exigeante quant à l'imputabilité des violences », souligne Sébastien Mabile. En clair, il faudrait que le gouvernement parvienne à démontrer que Les Soulèvements de la Terre sont directement responsables des actes de violences qui justifient leur dissolution. Or, ils seront difficiles à caractériser : « Les Soulèvements participent toujours aux actions avec d'autres associations, collectifs et syndicats. Comment leur attribuer à eux et à eux seuls les dégradations ? » D'autant plus que le mouvement n'a jamais « explicitement » appelé à la violence, rappelle l'avocat.

En mai 2022, Gérald Darmanin avait essuyé un échec dans une procédure similaire : celle de la tentative de dissolution du Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale). Le ministère de l'Intérieur reprochait à l'association des « invectives et appels à la haine contre les forces de l'ordre » et un discours sur les réseaux sociaux « légitimant le recours à la violence contre tous ceux qu'il considère comme ses adversaires, en particulier les mouvements d'extrême droite ». Saisis, les juges des référés du Conseil d'Etat avaient considéré que ces actes de violence n'étaient pas imputables au Gale.

Une telle dissolution pourrait également porter atteinte à la liberté d'expression, complète Sébastien Mabile. En effet, « la Cour européenne des Droits de l'Homme a acté que les actions de désobéissance civile sont une modalité de la liberté d'expression ». Et de citer une affaire qui a fait jurisprudence en la matière : en 2022, la CEDH a condamné la France à verser des dommages et intérêts à une militante Femen qui avait été condamnée pour s'être affichée seins nus dans l'église parisienne de la Madeleine en 2013, avant de mimer un avortement et d'uriner sur les marches de l'autel.

La loi punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de participer au maintien ou à la reconstitution d'une association ou d'un groupement dissous. Mais même si le Conseil d'Etat validait la fin des Soulèvements de la Terre, Sébastien Mabile s'interroge sur les suites à donner à cette dissolution.

« Ça n'a rien à voir, en termes d'ampleur, avec les précédentes affaires de dissolution », souligne-t-il. Les milliers de sympathisants seront-ils poursuivis ? Ou seulement quelques figures médiatiques ? En tout cas, l'avocat comme la militante jugent que face à cette nébuleuse, le gouvernement risque de se trouver démuni. Il sera matériellement impossible « d'engager des poursuites contre chacun de ses membres ou comité local »,explique Sébastien Mabile.

Pour Léna Lazare, une dissolution pourrait même se révéler « contre-productive » pour le gouvernement : « Nous deviendrions un symbole. Même si notre nom n'est plus utilisable, à s'acharner ainsi contre les militants écologistes, le gouvernement risque au contraire de pousser des personnes à rejoindre le mouvement. »

mardi 20 juin 2023 00:24:22 Categories: L'Obs

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