"Compte tenu de l'environnement général du secteur, une consolidation bancaire aux Etats-Unis est probable", a récemment déclaré Janet Yellen. Cette consolidation, la Secrétaire d'État au Trésor ne la souhaite pas. La diversité du système bancaire est une force et personne ne peut souhaiter de voir se renforcer encore des banques systémiques "too big to fail". Des banques que seules des interventions massives des banques centrales peuvent sauver.
Toutefois, Janet Yellen reconnait qu'un contexte de taux plus élevés ne peut manquer de créer des difficultés pour les petites et moyennes banques en l'état actuel, de sorte que les restructurations, si elles ne sont pas souhaitables, lui paraissent pourtant inévitables. Et quant aux risques, Janet Yellen estime que les tests de résistance appliqués aux plus grandes banques ont montré que celles-ci disposent de suffisamment de fonds pour faire face à d'éventuels bouleversements. "Mon sentiment général est que le niveau de capital et de liquidité du système bancaire est solide et que, même si la situation est difficile, les banques devraient être en mesure de faire face à la pression."
Certains commentateurs n'ont pas manqué de s'étonner de l'attentisme et du manque de volontarisme qui se dégagent de ces propos. Tandis que quelques jours plus tard, dans une communication très importante, quoique passée plutôt inaperçue, Agustin Carstens, le directeur général de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) - souvent qualifiée de "banque centrale des banques centrales" - tenait au Sommet bancaire international de la Fédération bancaire européenne un tout autre discours.
Alors que, ces derniers mois, les banques centrales de différents pays ont dû, une fois encore, intervenir en fournissant des liquidités pour restaurer la confiance et éviter la contagion face à plusieurs stress bancaires, le constat que dresse Agustin Carstens est implacable: la réglementation bancaire internationale actuelle dite "Bâle III" (du nom de la ville où siège la BRI), mise en place de manière accélérée après la crise de 2008, a échoué.
Les réformes de Bâle III visaient en effet à garantir que les banques conservent des liquidités suffisantes et restent bien capitalisées à tout moment. Et, si des institutions d'importance systémique faisaient faillite, des procédures de résolution bien planifiées étaient censées empêcher les retombées sur d'autres institutions. Or qu'a-t-on vu? Depuis 2010 et pratiquement jusqu'à aujourd'hui, des banques vivant quasiment et constamment sous perfusion des liquidités de leur banque centrale et en tirant la plus grande part de leurs bénéfices! Une situation qui, selon Agustin Carstens, trouve sa principale cause dans l'incapacité des administrateurs et des directeurs des banques à s'acquitter de leurs responsabilités. Leurs modèles commerciaux sont médiocres, explique le directeur général de la BRI, leurs procédures de gestion des risques terriblement inadéquates et leur gouvernance déficiente.
Deux discours bien différents donc. Du côté du Trésor américain, une position non-interventionniste qui, nous l'avons récemment souligné dans ces colonnes, demeure de principe aux Etats-Unis. La supervision bancaire n'a pas à se substituer à la direction des banques et agir ainsi sur leur gestion ou sur leur transformation. A la limite, elle n'a même pas à prévenir les faillites bancaires.
Il en va différemment en Europe où, selon Agustin Carstens, bon nombre des lacunes que présentent aujourd'hui les banques auraient pu et auraient dû, à son avis, être identifiées et corrigées depuis longtemps. Ce qui représente une vision toute différente de la supervision bancaire, laquelle doit identifier les faiblesses à un stade précoce et agir avec force pour s'assurer que les banques y remédient. Pour ce faire, les superviseurs devront avoir une indépendance opérationnelle, renforcer leur culture prospective et adopter une attitude plus intrusive, n'hésite donc pas désormais à dire la BRI.
Nous sommes ainsi à un tournant. Dès lors que les banques centrales soutiennent désormais quasi directement l'activité des banques, la frontière entre supervision et intervention ne peut que paraitre ténue. Les autorités réglementaires ne peuvent pas se retrouver, comme à entendre le discours de Janet Yellen, à prendre simplement acte d'une évolution qu'elles déplorent et qui leur semble de nature à accroitre les risques.
Entre supervision et régulation, surveillance et influence, le rôle des banques centrales a toujours balancé - que l'on songe notamment à l'encadrement du crédit que la Banque de France a exercé pendant des décennies. Toutefois, il était rarissime que les banques centrales s'immiscent dans la gouvernance des établissements et se retrouvent en situation d'en "prendre les commandes" le cas échéant. Ce qu'Agustin Carstens appelle de ses voux et ce qui, à terme, changera complètement le rôle et le statut des banques.