Zineb Kerrad, 51 ans, est seule chez elle, ce 30 août 2022, quand cinq policiers sonnent à sa porte dans la matinée. «Ils m'ont dit "votre fils est décédé" et ils sont partis», se remémore cette mère d'une fratrie de six enfants. Dans la nuit, Amine Leknoun, 23 ans, a été tué par le tir d'un policier de la brigade anticriminalité (BAC) de Tourcoing (Nord). L'un des douze homicides policiers de l'année 2022 dans lesquels un véhicule était en fuite. Le jeune homme passait la soirée avec un ami d'enfance, dans une voiture stationnée près d'une station essence. A l'arrivée de l'équipage de la BAC, Amine fait démarrer son véhicule que la police pense volé et tente d'échapper au contrôle. Le policier, qui est mis en examen mais est présumé innocent, affirme qu'il était menacé par la trajectoire du véhicule. Toutefois, les premiers éléments médico-balistiques fragilisent l'argument de la légitime défense, comme le révèle notre enquête. «C'est une famille complète qui est détruite. Mes enfants étaient très attachés les uns aux autres, ils n'arrivent pas à accepter la mort d'Amine», poursuit Zineb.
Ce même 30 août, tôt le matin, Loubna Leknoun, 26 ans, accouche de son premier enfant. Une joie fracassée, quand elle apprend, quelques instants plus tard, la mort de son petit frère. Elle dit d'Amine qu'il était quelqu'un de «très gentil, très respectueux» : «On était soudés, c'était un soutien pour nous. Dans sa tête c'était lui l'aîné, il réfléchissait avec du recul.» La fratrie grandit à Roubaix, à la Potennerie, un quartier pauvre de la ville. «Amine avait arrêté l'école tôt, au lycée. Il voulait chercher un travail après l'été, mais y'a pas beaucoup de perspectives ici», retrace son frère Mohamed, 27 ans. Adolescent, Amine enchaîne des petits délits qui le conduisent plusieurs fois devant la justice. Son casier judiciaire garde la trace de plusieurs affaires de vols, de consommation et de vente de stupéfiant, d'un outrage. «Quand mon frère a eu 18 ans, il a changé, il n'a plus fait les mêmes conneries qu'avant», assure sa sour Loubna.
Aujourd'hui, la famille ne digère pas ce qu'elle considère comme du mépris des institutions face à cet homicide policier. Aucune n'a pris le temps de la rencontrer. La mairie de Roubaix ne l'a pas contactée, le procureur et les responsables policiers locaux non plus. «Pendant longtemps, la juge d'instruction a aussi refusé de nous voir et de nous donner accès à l'enquête. Elle disait qu'elle craignait des représailles contre le policier», retrace Loubna. Les proches d'Amine sont finalement reçus en mars 2023, plus de six mois après sa mort. De ce combat judiciaire, Zineb attend le moment où elle sera face à Amaury D., l'agent auteur du tir, «pour lui demander comment il a pu faire ça». Le policier est aujourd'hui mis en examen pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner».
La famille a fait le choix d'enterrer Amine au Maroc, à Oujda, ville d'origine de son père dans le nord-est du pays. «Nous, on aurait préféré qu'il soit enterré à Roubaix pour pouvoir aller le voir, mais on savait qu'il aurait voulu être enterré là-bas», explique Loubna. C'est lors de ses vacances que le jeune homme est tombé amoureux de cette terre où il n'a jamais vécu. «On avait le projet d'y aller ensemble peu de temps avant sa mort, se souvient sa mère. Je n'arrive pas à me mettre dans la tête qu'il est parti. Aujourd'hui, je parle toute seule, je lui parle comme s'il était là. Je suis trop attachée à mes enfants, j'aurais préféré partir à sa place.»
Zineb dit aussi avoir peur pour ses autres fils, en particulier les plus jeunes, âgés de 18 et 22 ans. «J'ai l'impression que la police peut tuer tout le monde», affirme-t-elle. Un traumatisme qui hante aussi Loubna : «J'imagine toujours une même scène maintenant : des policiers qui arrivent en voiture derrière moi quand je rentre du travail tard la nuit, qui viennent me contrôler et me tirent dessus.»