Responsable du Centre d'études politiques et sociales de l'université de Montpellier et Directeur de recherche au CNRS, Emmanuel Négrier étudie depuis plusieurs années les liens entre culture et territoire. Dans Culture et Métropole (éditions Autrement, 2021), il expose les perdants et les détracteurs de la métropole culturelle montpelliéraine.
La capitale du Languedoc a fait très tôt le pari de la culture. Est-ce lié à un objectif de renouvellement urbain, comme ce fut le cas à Bilbao, Rotterdam ou Lille ?
Les vingt-deux métropoles françaises sont des acteurs culturels incontournables : leurs dépenses s'élèvent à près de 2 milliards d'euros, soit le double du budget culturel de l'ensemble des départements. A Montpellier, cet investissement est particulièrement élevé. Il relève d'une stratégie métropolitaine plutôt que d'un objectif de renouvellement urbain - la ville ne dispose pas de friches industrielles à requalifier. Et à défaut de réunir les ressources (matières premières, grands acteurs économiques.) qui font l'attractivité d'une agglomération, une politique volontariste a été menée dès les années 70 sous la houlette de Georges Frêche, pour hisser plusieurs services urbains à la hauteur des ambitions métropolitaines. A travers des établissements de prestige et des événements d'excellence - MoCo, festival international de musique de Radio France, festival Montpellier Danse. - l'objectif assigné à la culture est de signaler Montpellier sur la carte des grandes villes qui comptent.
Vous évoquez dans votre ouvrage l'écueil d'une métropole culturelle «à deux vitesses».
A Montpellier, le transfert de compétences culturelles de la ville vers l'intercommunalité a été l'un des plus forts de l'Hexagone. Les communes environnant la capitale régionale peuvent bénéficier de financements métropolitains à destination de Maisons pour tous et de bibliothèques locales par exemple, ou d'événements intercommunaux déployés sur leurs espaces publics, tels que des séances de cinéma. Mais cette solidarité territoriale reste marginale : l'essentiel du budget métropolitain vise les équipements montpelliérains intra-muros. Autrement dit, la prise en compte des différents territoires est fragmentaire. Par ailleurs, les efforts sont concentrés sur les institutions au détriment de groupes émergents et d'initiatives autonomes. Ce choix politique relève d'un objectif de démocratisation culturelle : il s'agit de diffuser au plus grand nombre un stock de valeurs culturelles jugées légitimes, dans une démarche descendante, d'experts vers le public ; du centre vers la périphérie. La réussite relative de cette surinstitutionnalisation (qui aurait dit, il y a trente ans, qu'il existerait un public de la danse contemporaine à Montpellier ?) s'est faite au prix d'importantes fractures territoriales et sociologiques dans l'accès à l'offre publique.
Comment y remédier ?
Un nombre croissant d'acteurs culturels, associatifs et privés, critiques à l'égard de ce modèle métropolitain, défend une démocratie culturelle centrée sur l'expérience de chacun et sur l'échange plutôt que sur l'excellence. Cette logique de «droits culturels», qui s'inscrit de manière plus équilibrée sur le territoire, semble l'une des conditions du renouvellement des publics. En plein essor, elle se traduit par des projets où la culture voisine avec des engagements civiques et politiques. Un modèle métropolitain reste donc à inventer, qui articulerait l'héritage institutionnel et ces formes d'émergence exprimant une diversité d'expériences et de localisations : c'est tout l'enjeu de la candidature pour le titre de capitale européenne de la culture 2028.