La commission politique du dialogue national entre le pouvoir et l'opposition s'est dite favorable à des modifications du code électoral qui lèveraient l'inéligibilité des deux hommes.
C'était le point le plus attendu du dialogue national qui s'est ouvert le 31 mai à Dakar entre le pouvoir et certains partis d'opposition. Les principaux rivaux du président Macky Sall recouvriront-ils les droits civiques dont ils ont été déchus suite à des condamnations ? Et pourront-ils se présenter à l'élection présidentielle de 2024 au Sénégal ? La commission politique a répondu par l'affirmative, se disant favorable à une modification des articles L28 et L29 du code électoral, ce qui permettrait une réhabilitation des droits civiques et politiques des personnes qui ont bénéficié d'une grâce présidentielle et qui ont purgé leur peine.
« L'article L29 rendait inéligible de façon permanente quiconque avait été condamné à une peine supérieure à cinq ans de prison. Nous sommes tombés d'accord sur le fait que cela n'était pas conforme aux standards internationaux », explique Déthié Faye, un des politiques qui prend part au dialogue et qui se dit n'appartenant ni à la majorité ni à l'opposition. La commission souhaite que l'inéligibilité soit levée une fois la peine effectuée, sauf dans les cas de trafics de stupéfiants, de crimes ou de détournements de deniers publics, pour lesquels la période s'étendrait cinq ans après l'expiration de la condamnation.
« Karim Wade et Khalifa Sall pourront donc participer à l'élection, car ils ont bénéficié d'une grâce et ont épuisé leur peine », conclut Déthié Faye. Karim Wade, fils de l'ancien président Abdoulaye Wade, avait été condamné en 2015 à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite, avant d'être gracié et de s'exiler au Qatar. Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, avait quant à lui été écarté de l'élection présidentielle de février 2019, ayant été condamné à cinq ans de prison ferme pour détournements de fonds publics, avant d'être gracié en septembre de la même année.
Si la modification du code électoral pourrait permettre à ces deux hommes politiques de se présenter en 2024, la question reste en suspens pour Ousmane Sonko. Le président du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef) a été condamné à deux ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse et à six mois avec sursis pour diffamation. Ces peines, qui ne sont pas encore définitives, menacent directement son éligibilité. « Malheureusement pour le cas d'Ousmane Sonko, nous n'avons pas trouvé d'issue », regrette Moundiaye Cissé, de l'ONG 3D.
L'autre question épineuse qui n'a pas trouvé de consensus est celle de la participation du président Macky Sall. Accusé par ses opposants de vouloir briguer un troisième mandat, il refuse pour l'heure de se prononcer. Son entourage martèle que cette nouvelle candidature serait légale, contrairement à ses rivaux et à la société civile. « Concernant le débat sur le troisième mandat, la seule institution sur le plan juridique qui peut prendre une décision concernant les candidatures, c'est le Conseil constitutionnel », rappelle Mouhamadou Dia, responsable de la communication du dialogue national.
La commission politique a tout de même réussi à avancer sur la question sensible des parrainages et des règles du jeu électoral, « qui ont été un motif d'élimination de candidats dans le passé », se satisfait Moundiaye Cissé.
Les pourcentages du parrainage citoyen ont été revus à la baisse d'un minimum de 0,8 % à 0,6 % du fichier électoral. Les candidats auront aussi le choix de faire valider leur candidature par 13 députés ou par 120 chefs d'exécutifs territoriaux comme des maires ou des présidents de conseil départemental, explique Déthié Faye. « Cela va permettre à ce que davantage de candidats puissent participer », se félicite M. Cissé.
Les débats doivent se poursuivre autour de la « consolidation des droits et libertés », de la « question des détenus », du « cumul de la fonction de chef de l'Etat et de chef de parti » et de « l'accès aux médias d'Etat », selon Déthié Faye. Des enjeux importants alors que plusieurs marches ont été interdites et que plus de 600 personnes ont été arrêtées lors des manifestations des 1er et 2 juin, selon le Pastef.
Les conclusions du dialogue national ne sont toutefois que des recommandations, qui seront ensuite tranchées par le chef de l'Etat. Son allocution, prévue samedi 24 juin lors de la clôture du dialogue, est très attendue.