La majorité des personnes interpellées sont poursuivies pour « atteinte à la sécurité de l'Etat » ou « appel à l'insurrection » et placées sous mandat de dépôt.
« C'est du jamais vu », s'étonne une avocate, la main sur la bouche. « Ça rend fou », abonde un de ses collègues, assis sur un banc du tribunal de Dakar. Les uns après les autres, ils sont sortis dépités des bureaux des juges d'instruction. Plusieurs se sont portés volontaires pour assister les personnes arrêtées pendant les manifestations qui ont émaillé le Sénégal début juin après la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse ». « Depuis ce matin, on a placé tout le monde sous MD [mandat de dépôt] », souligne l'une d'entre eux, Me Ndeye Coumba Kane.
Dans un communiqué du 13 juin, Abdou Karim, le procureur de la République de Dakar affirme que 410 personnes ont été interpellées dans la capitale pour « leur participation aux manifestations ». En dehors des mineurs et des manifestants dont il juge l'implication « moindre », le procureur déclare avoir opté « pour la pleine rigueur de la loi dans les poursuites ».
« Pour la majorité, ils sont poursuivis pour atteinte à la sécurité de l'Etat, appel à l'insurrection, propos ou actes de nature à jeter le discrédit sur les institutions de la République », égrène Me Kane. « Pour certaines infractions qui touchent particulièrement la sûreté de l'Etat, le procureur a la latitude de s'opposer à toute libération », ajoute-t-elle pour expliquer le refus d'une liberté provisoire à de nombreux détenus.
De quoi ajouter à l'inquiétude des proches de personnes arrêtées. Des dizaines de parents patientent ainsi devant la « Cave » du parquet, une prison de jour où les détenus attendent d'être édifiés sur les poursuites à leur encontre. Certains visiteurs, exténués, s'abritent du soleil sous des marches d'escalier, d'autres sont presque couchés à l'ombre des arbres après une journée à guetter des nouvelles de leur proche.
Au moindre bruit métallique du portail du bâtiment, une partie de la foule s'approche. Un homme âgé tente de glisser à travers les grilles un sachet de bananes à un agent se dirigeant vers l'intérieur. Son interlocuteur demande à ses collègues si « l'heure n'est pas passée » avant de finalement récupérer le colis.
Kiné Konaté, chapelet au cou, converse au milieu d'un petit groupe d'hommes. Des voisins venus également s'enquérir du sort d'un ami ou d'un proche. Ce n'est que ce jour-là qu'elle a enfin pu trouver la trace de son neveu, Serigne. Arrêté au premier jour des manifestations, alors que ses camarades de chantier « avaient fini de le déposer dans sa commune », sa famille a passé plus d'une semaine à le chercher.
« Nous faisions le tour des commissariats de la zone, on est allé dans plus de dix brigades », raconte la tante. « Ils [les forces de l'ordre] ne savent pas qui a fait quoi, ils emportent tout le monde », se désole-t-elle, rassurée d'avoir au moins pu localiser le jeune homme grâce à un appel passé avec le téléphone d'un inconnu.
Venu assister deux de ses proches, Georges Dethie a appris que son cousin séjournera pour un temps à la célèbre prison de Rebeuss, au centre-ville. Arrêté la veille des manifestations alors qu'il « rendait visite à un de ses camarades », Georges estime qu'il a été « ciblé » car il est un coordonnateur « influent » d'une des sections des jeunes du Pastef.
Son parti interprète la sortie du parquet comme une « énième attaque visant Pastef ». Le parti de l'opposant Ousmane Sonko, assigné de facto à résidence dans la capitale, déplore également « le silence du procureur » sur les décès lors des émeutes début juin. Seize victimes ont été enregistrées durant ces deux jours de manifestation selon le gouvernement, vingt-trois selon Amnesty International dont le directeur du bureau sénégalais, Seydi Gassama, ne voit pas d'un bon oil l'arrivée de ces nombreux détenus dans des prisons « déjà surpeuplées ».