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Beka Gvishiani du compte Instagram @stylenotcom : "Je ne fais que partager l'émotion que me procure la mode"

logo de GQ GQ 21.06.2023 16:24:38 Bryan Ferreira
Beka Gvishiani du compte Instagram @stylenotcom :

Si vous aviez encore un doute, @stylenotcom habite bel et bien à Paris. À quelques mots près, c'est ainsi que Beka Gvishiani, fondateur du compte Instagram de mode le plus observé de ces derniers mois, a annoncé à ses quelques 219.000 abonnés - et accessoirement à tous les attachés de presse parmi eux - qu'il avait emménagé dans la ville la plus importante pour son métier. L'homme à la casquette bleue signature a longtemps hésité entre Milan et Paris avant de se rabattre finalement sur la capitale française. Un choix de raison pour tout bon passionné de mode qui se respecte tant Paris est aujourd'hui encore l'épicentre de la mode et du luxe. Originaire de la ville de Kutaisi en Géorgie, Beka Gvishiani, 32 ans, a suivi le chemin emprunté quelques années auparavant par l'un de ses célèbres compatriotes désormais à la tête de Balenciaga, le directeur artistique Demna. Ce dernier, comme d'autres avant lui, a dû quitter sa Géorgie natale à défaut de pouvoir y exercer sa passion de la mode.

Pour Beka Gvishiani, dix ans se sont pourtant écoulés avant qu'il ne se décide enfin à faire ses valises. Dix années pendant lesquelles sa propre passion pour la mode n'a cessé de croître, depuis sa première cover de Vogue découverte à la fin de l'adolescence à son blog tumblr sur la mode, en passant par son tout premier job dans l'industrie au sein du label géorgien Anouki. Grâce à son compte Instagram créé en 2021, Beka Gvishiani est sorti de l'anonymat. Avec @stylenotcom, il fait découvrir à ses abonnés les coulisses des défilés sans cynisme ou ironie mordantes, deux ingrédients dont la mode est habituellement friande. Tout chez lui découle d'un naturel teinté d'une grande naïveté qui explique en partie les raisons de son succès. Quand elles ne sont pas de simples rapports en direct de shows ("le défilé Loewe commence maintenant", "voici le premier look Prada"), ses fameuses phrases en majuscules blanches, au fond bleu caractéristique emprunté à la boutique-institution Colette fermée en 2022, témoignent de ce qu'il a d'abord lui-même aimé.

Le principal carburant de son compte aux plus de 2800 publications pourrait en effet se résumer en une phrase que nous a confiée le principal intéressé : "Je ressens ce que je partage." Mais s'il apporte un vent de liberté dans la mode, c'est aussi parce qu'il incarne parfaitement ce que les principales maisons de luxe recherchent aujourd'hui. Entre influenceur et véritable reporter in situ, Beka Gvishiani apporte ce que les journalistes ne peuvent pas directement apporter aux marques - une couverture live de la mode en train de se faire - et ce que les influenceurs ne font pas pour la plupart d'entre eux - un éclaircissement documenté par l'histoire de la mode et par les différents acteurs de l'industrie.

Celui qui rechigne à montrer son visage est en effet avant tout un érudit de mode capable de se souvenir précisément du modèle d'un sac présenté lors d'un défilé Chanel de Karl Lagerfeld en 2015. Biberonné aux couvertures Vogue Paris signées Carine Roitfeld, il a eu l'idée de créer @stylenotcom pendant la pandémie à un moment où tous ses projets professionnels en cours étaient annulés les uns après les autres. Beka Gvishiani retombe alors sur les vidéos publiées dans les années 2000 sur le site Style.com (créé par Condé Nast puis revendu à l'une de ses filiales avant d'être définitivement fermé). Tim Blanks, alors principale figure du site américain, y décryptait les défilés au travers d'interviews avec de grandes personnalités du secteur. Une épiphanie pour Beka Gvishiani qui ne manquait aucune vidéo du journaliste britannique et dont Style.com sera en quelque sorte l'école de pensée, comme la principale formation intellectuelle sur le sujet. Le créateur de contenus s'est même constitué au fil des années une véritable archive de ces vidéos qu'il a stockées sur un cloud. Pour tout amoureux de mode, elles valent à n'en pas douter tout l'or du monde.

En septembre 2023, cela fera deux ans qu'il abreuve quotidiennement sa bible digitale au gré de ses rencontres et des défilés où il a désormais portes ouvertes. En janvier dernier, le nommé dans la très prestigieuse liste du magazine Forbes des personnes à suivre de moins 30 ans, a même réuni dans un livre intitulé Fashion in 2022 (la mode en 2022) quelques-unes de ses fameuses publications. Cette rétrospective fait état de sa première année passée au plus près de la création de mode. Beka Gvishiani y déploie ainsi la nouvelle grammaire visuelle qu'il a inventée pour raconter les grands moments de la mode. Des phrases percutantes, élevées au rang d'aphorismes ainsi que les a qualifiées l'une de nos consours, et qui font de @stylenotcom aka Beka Gvishiani l'un des nouveaux acteurs digitaux, un "créateur digital d'opinion" selon ses dires, parmi les plus intéressants et passionnés du moment.

En cette fin avril où nous le rencontrons dans la véranda du Soho House Paris, il hésite encore sur les dates de son déménagement à Paris. Entre sa visite des usines Loro Piana, les multiples défilés et autres événements à l'étranger, ses quelques jours au Brésil début mai ou les Fashion Week qui s'enchaînent, l'Instagrameur n'a décidément plus une minute à lui. À l'occasion de la Fashion Week de Paris, GQ lui consacre sa toute première couverture digitale. Près d'une heure trente d'entretien pour comprendre sa trajectoire et revenir avec lui sur la passion qui l'anime depuis toujours.

Vous souvenez-vous de la manière dont votre compte Instagram @stylenotcom a accédé à la célébrité ?

C'est grâce à Loïc Prigent bien sûr ! Tout a commencé parce qu'un jour j'ai posté quelque chose sur le fait qu'il ne publiait pas sa vidéo spéciale du samedi sur YouTube. Quelque chose comme : "Tous les samedis sans une vidéo de Loïc, on s'ennuie". Ce qui est le cas. Il m'a immédiatement reposté, suivi par l'influenceuse Lena Mahfouf, et c'est alors que tout a commencé. Loïc m'a dit : "Tu sais qui est cette fille ?" Je n'en avais aucune idée à l'époque, mais beaucoup de mes nouveaux followers venaient d'elle. À partir de ce jour-là, nous avons continué à discuter avec Loïc. C'est d'ailleurs l'une des premières personnes de l'intérieur qui m'a fait aimer la mode. Loïc n'est pas un grand rédacteur en chef de magazine, ni même un top model ou quelqu'un d'extrêmement connu du grand public.

Il m'a fait aimer la mode d'une manière très différente parce que son approche est différente. Quand je l'ai découvert grâce à son documentaire Marc Jacobs et Louis Vuitton [sorti en 2007, ndlr], je me suis dit "Ok, je veux en savoir plus de ce que fait ce type". J'ai vu qu'il était réalisateur et journaliste de mode pour la télévision française, notamment avec l'émission 52 minutes de mode sur TMC [produite par Deralf et Bangumi, ndlr]. Bien sûr, après cela, il a ouvert sa propre chaîne YouTube avec l'aide de Derek Blasberg, le directeur de la mode de YouTube. La chaîne de Loïc est la seule chaîne YouTube à laquelle je me suis abonnée et la seule que je regarde encore aujourd'hui. Je ne rate jamais ses vidéos qui sortent tous les samedis à 12h. J'adore aussi quand il sort des vidéos surprises le mardi ou le mercredi. C'est devenu une religion. Je n'ai même pas de pense-bête, je sais juste que c'est l'heure de Loïc. Pour lui, c'était moi qui réinventais le reportage de mode."Tu as inventé une nouvelle eau dans la manière de raconter la mode", m'a-t-il un jour confié.

Avant ce grand succès sur les réseaux sociaux, Pierre-Alexandre M'Pelé, Head of Editorial Content de GQ France, faisait partie de mes 1000 premiers abonnés. On s'est tout de suite entendu parce qu'on est de la même génération, qu'on a les mêmes références, les mêmes figures qui nous ont fait aimer la mode. Il m'a dit une chose que je n'ai jamais oubliée la première fois que nous nous sommes rencontrés dans un restaurant parisien à Opéra.

"Certains disent que des types comme moi tuent le journalisme. Mais nous ne faisons pas du tout le même travail. [.] Si les journalistes n'étaient pas là, mon Instagram n'existerait pas."

@stylenotcom

À ce propos, votre travail sur Instagram peut-il être plus ou moins comparé à du journalisme de mode ?

Je ne me considère pas comme un journaliste. Je ne me contente que de rapporter des faits. Je ne fais pas de critique de mode, ni même du journalisme. Je partage simplement mon enthousiasme pour la mode. J'ai encore beaucoup à apprendre pour être critique ou journaliste de mode. Encore une fois, je ne rapporte que des faits à partir desquels les gens peuvent penser ce qu'ils veulent. Évidemment, ils peuvent parfois sentir quelles sont mes marques préférées. Je ne peux pas toujours cacher mon fort emballement et ce n'est d'ailleurs pas vraiment mon travail de le cacher. En allant aux défilés, je mesure tout ce qu'il me reste à apprendre pour devenir critique ou quoi que ce soit d'autre. Les personnes que j'ai rencontrées lors des shows ont tellement de références. Je peux me souvenir du nombre de personnes présentes à un défilé, de ce qui a fait l'ouverture du Vogue Paris ou du Vogue Italie à un moment donné. Mais l'histoire de la mode est plus profonde qu'on ne peut l'imaginer.

C'est pourquoi, si je veux parler d'un sujet sur lequel je n'ai pas fait de recherches approfondies auparavant, je préfère simplement partager ce que je vois et ce que je ressens. À un moment donné, c'est aussi ce dont les gens ont besoin et ce pour quoi ils sont venus sur mon compte. Certains disent que des types comme moi tuent le journalisme. Mais, enfin ! Nous ne faisons pas du tout le même travail : le journalisme long et documenté aura toujours sa place. Les gens qui connaissent la mode à la racine, avec ses références et ses propres comparaisons historiques liées à la musique ou au cinéma, c'est précisément ce qui m'a fait aimer la mode en premier lieu. C'est cette expertise-là que j'ai toujours recherchée. Il y a un espace pour tout le monde. Je lis les journalistes de mode et j'apprends tant de choses grâce à eux. S'ils n'étaient pas là, mon Instagram n'existerait pas aujourd'hui. Je fais tout simplement quelque chose de différent.

Vous n'accepterez donc jamais un poste dans un magazine comme l'ont fait certains influenceurs ces dernières années ?

J'ai travaillé avec System Magazine dernièrement. Je faisais des articles sur certains défilés pour eux durant la Fashion Week homme et la Couture. Mais pas des articles tels que vous l'imaginez. Ce n'était pas du journalisme classique. J'écrivais comme j'écrirais mes phrases pour Instagram. Ajoutées les unes aux autres, elles formaient alors un texte. J'ai refusé quelques offres de travail pour écrire parce que je ne suis pas prêt. Ce n'est pas mon moment. Même si j'accepterai peut-être quelque chose un jour. Si je devais me définir à ce stade, je vous dirais ce que quelqu'un m'a dit un jour : je suis un "créateur digital d'opinion". Je ne suis pas une influenceur au sens où le public entend aujourd'hui le mot "influenceur". Je ne porte jamais de vêtements de marques pour aller à des défilés par exemple, sauf si je les possède moi-même. Mon travail se situe entre les deux : entre les médias et les influenceurs. Si j'influence quelqu'un - et je me réfère ici au mot "influence" tel qu'il est décrit dans le dictionnaire et non pas comme l'influence est comprise communément aujourd'hui -, j'influence les gens à aimer la mode et à aller plus loin sur un sujet de mode. Souvent, des jeunes me remarquent dans la rue lorsque je porte ma casquette [bleue, ndlr] et me disent : "Vous m'avez décidé à faire une école de mode", ou "à faire quelque chose en rapport avec la mode."

"Aujourd'hui, je crée des posts pour les marques avec mes mots. Mais si je n'y mets pas tout mon cour, je ne le fais pas."

@stylenotcom

Êtes-vous payé par des marques ? Acceptez-vous des partenariats rémunérés pour certains de vos posts ?

Lorsque quelqu'un m'a approché la première fois pour faire un post rémunéré, je me suis immédiatement dit "non". Une autre fois, quelqu'un m'a dit : "J'adore ce que vous faites, nous aimerions vous payer pour faire ceci ou cette campagne-là.". J'ai toujours refusé. Jusqu'au jour où je me suis assis avec une amie qui travaille dans la mode et qui m'a dit : "Demande-leur de l'argent. Ce que te demandent les marques n'est pas quelque chose dont tu parlerais directement. Ou peut-être que tu le ferais, mais d'une manière très différente". Elle m'a fait comprendre que mon contenu éditorial resterait le même de toute façon parce que je n'accepterais jamais quelque chose de payé qui est dissonant ou que je n'aime pas sur ma plateforme. Aujourd'hui, je produis certains contenus pour des marques et elles viennent me voir en sachant ce que je fais et comment elles pourraient au mieux s'adapter à moi. Je crée des posts pour les marques avec mes mots. J'apprends maintenant à dire "non". On ne peut pas plaire à tout le monde. Et si je n'y mets pas tout mon cour, je ne le fais pas.

Pouvez-vous nous décrire le processus qui précède le bouton "publier" sur Instagram ? Comment la magie opère-t-elle ?

Lors d'un défilé de mode, je partage ce que je ressens. C'est aussi simple que cela. Mais quand je fais un récapitulatif d'un défilé ou d'un événement, cela prend parfois des heures. Et ce même si j'étais là, sur place. Parfois, je dois inclure des références historiques, vérifier ce que je vais dire avec des personnes travaillant pour la marque, etc. Cela prend beaucoup de temps, surtout si vous devez parler à des personnes qui ne sont pas sur le même fuseau horaire que vous, aux États-Unis par exemple. Pendant trois semaines, j'ai préparé le Met Gala [dont le thème cette année était consacré à Karl Lagerfeld, ndlr]. (Il nous montre des notes sur son téléphone) J'ai fait une note pour chaque type de post que j'allais faire. Tout ce que j'ai écrit sur chaque note va être vérifié avec les représentants de la marque. D'abord, il y a la note "Faits amusants sur Karl". Ensuite, j'ai fait la note "Citations de Karl", et il y avait tellement de citations à son sujet. J'ai également dressé une liste de noms afin d'élaborer une note sur "Ce qui manque aux gens à propos de Karl". Une autre note concernait le parcours professionnel de Karl, dont j'ai dû confirmer les dates auprès de différentes marques, car il avait l'habitude de ne jamais donner les mêmes dates. Enfin, j'ai dû revoir des vidéos et des films sur Karl.

"Les faits ne sont pas faciles à dénicher. Plus l'information est importante, plus la vérification des faits est importante. Et plus il y a d'informations, plus il est difficile de les condenser en un seul post Instagram."

@stylenotcom

Tout cela pour publier trois ou quatre publications comprenant au maximum 10 diapositives qui résument une carrière de près de 70 ans. C'est insensé. Mais c'était la plus grande soirée de la mode et je voulais faire honneur à Karl et à son héritage. J'ai donc décidé de préparer les ébauches de chaque article quatre jours à l'avance. J'ai discuté avec des représentants de Chloé, de Fendi, de Karl Lagerfeld [la marque, ndlr] et de Chanel, bien sûr. J'ai même interviewé d'anciens collaborateurs de Karl. J'ai commencé ces entretiens trois semaines avant le Met Gala. Je voulais être prêt, aussi parce que le même week-end, je fêtais mon anniversaire avec mes amis. Oui, le Met Gala coïncide avec le jour de ma naissance, n'est-ce pas un signe ? (rires). L'expérience Karl au Met m'a montré qu'aussi simples qu'ils puissent paraître, les faits ne sont pas faciles à dénicher. Sur ce point, mon travail devient de moins en moins simple. Plus l'information est importante, plus la vérification des faits est importante. Et plus il y a d'informations, plus il est difficile de les condenser en un seul post. Mais maintenant que j'ai accès aux attachés de presse et à de plus en plus de personnes du secteur, je peux et je me dois de bien le faire.

Votre Instagram s'appelle "Stylenotcom", un jeu de mots inspiré de l'ancien site vidéo de Condé Nast consacré à la mode et fermé en 2010, Style.com. Ce site était-il votre propre école de mode ?

J'ai tout téléchargé à partir de YouTube. Je partage une vidéo tous les dimanches à 12 heures par le biais d'un billet que j'appelle "N'oubliez jamais". Les gens attendent la sortie de la vidéo. Tim Blanks m'a dit lorsque je l'ai rencontré il y a un an : "Merci de vous souvenir et de ressortir quelques-uns des meilleurs souvenirs de ma carrière et de ma vie dans la mode." Je regarde Style.com depuis toujours. Mais la pandémie a accéléré ma redécouverte des vidéos. J'ai même dû acheter un espace de stockage iCloud pour les conserver. La plupart d'entre elles ne durent que deux minutes, ce qui facilite le partage sur Instagram.

Certains dimanches, je suis d'humeur à partager du Céline signée Phoebe Philo, d'autres dimanches le Chanel de Karl, du Hedi [Slimane, ndlr] et parfois du Prada... J'envoie la vidéo de mon ordinateur portable à mon téléphone et je la partage. Pour le Met Gala, j'ai partagé le défilé Supermarket de Karl pour Chanel [issu de la collection de prêt-à-porter automne-hiver 2014-2015], qui est mon défilé préféré. Si j'avais une machine à remonter le temps, j'irais voir ce défilé. C'est tout ce que j'aime dans la mode : l'ironie, le luxe, etc. Quand le site a fermé en 2010, je portais un t-shirt où j'avais fait imprimer "Style.com". Mon Instagram a aussi adopté la couleur bleue car j'étais un grand fan de Colette à Paris [le concept-store est aujourd'hui fermé, ndlr]. Collette a été le premier compte Instagram que j'ai suivi. La première fois que je suis venue à Paris, ce n'était pas pour voir la Tour Eiffel, mais pour aller chez Colette. C'était mon église. Le magasin était ma dose de café, j'y allais tous les jours quand j'étais à Paris trois ou quatre fois par an avec la marque géorgienne dans laquelle je travaillais.

Parlez-moi des dix années qui ont précédé @stylenotcom. Que faisiez-vous ?

J'ai toujours été intéressé par la mode car mon grand-père était un grand lecteur de journaux et de magazines. Quand j'étais plus jeune, je me suis rendu compte que j'étais plus intéressé par les images et les mises en page que par le texte lui-même. Jusqu'à l'âge de 4 ans, lorsque j'ai enfin pu lire les titres. Avec mon argent de poche, j'ai alors commencé à collectionner tous les tabloïds sur les stars et la musique. Ils coûtaient environ 20 ou 50 centimes. J'y dépensais beaucoup d'argent. Un jour, j'ai vu un numéro de Vogue Russia. J'avais 17 ans et c'était le premier numéro de Vogue en lettres dorées que je voyais dans lequel Carine Roitfeld réalisait l'un de ses premiers stylings. Le magazine coûtait environ 8 euros. C'était beaucoup d'argent en 2008. Je n'ai pas pu dormir cette nuit-là et je savais que je devais l'acheter. Je suis donc revenu au magasin et j'y ai mis toutes mes économies. J'ai su à ce moment-là que je voulais travailler dans ce secteur, même si je ne savais pas exactement ce que je voulais faire. Je savais simplement que je voulais posséder toutes les éditions de Vogue, mais il était difficile de se les procurer car les frais de port étaient encore plus élevés que le prix du magazine lui-même. Je m'apprêtais donc à me lancer dans la banque. Cette activité payait bien, et comme je devais m'occuper de ma famille, il fallait que gagne vite de l'argent.

"Lorsque @stylenotcom est né, c'était 10 ans de réflexion autour de la mode qui arrivaient à leur terme. Un moyen d'exprimer toutes les idées que j'avais accumulées."

@stylenotcom

Parallèlement, j'étais membre du Fashion Spot Forum [un site web collaboratif axé sur les nouveautés dans le monde de la mode, ndlr], où je suis devenu un membre éminent parce que j'étais toujours le premier à découvrir les choses. Je passais des nuits entières à rafraîchir la page pour découvrir les nouvelles couvertures des magazines de mode. J'avais même des amis dans le digital qui m'envoyaient les couvertures du Vogue français qu'ils recevaient chez eux. À un moment donné, j'ai créé un blog tumblr intitulé "Glossy Newsstands" et j'ai fait la promotion de mes articles sur Twitter. Instagram n'existait pas encore à l'époque. En 2012 ou 2013, j'avais une vingtaine d'années et des mannequins ainsi que des journalistes partageaient mes tweets. J'avais énormément de vues. Katie Grand m'a alors remarqué et m'a proposé une collaboration pour le site web du magazine Love. J'ai fait une critique pour chaque numéro de septembre du magazine qui est sorti cette année-là. C'était mon premier grand pas dans le monde de la mode.

Mon intérêt pour la mode n'a cessé de croître, mais comme je ne pouvais pas me rendre à la Fashion Week de Paris ou de Milan, j'ai contacté des créateurs géorgiens. Ils pensaient que j'étais un blogueur étranger parce que je publiais des articles en anglais. Ils m'ont donc invité à leurs défilés. Ils ont été très déçus lorsqu'ils ont découvert que j'étais un Géorgien à l'allure très normale qui portait des jeans ennuyeux (rires). Une créatrice dont la marque venait de naître m'a remarqué et m'a dit qu'elle avait besoin d'aide pour sa communication. Elle a ensuite eu besoin de moi pour m'occuper d'un peu de tout.

En six mois, je suis devenu directeur général de la marque Anouki, l'une des marques géorgiennes les plus populaires. Grâce à elle, j'ai pu me rendre à Paris et assister à 4 ou 5 grands défilés. Mon appétit pour la mode n'a cessé de croître. Je suis resté 6 ans chez Anouki en tant que directeur général puis à la tête des relations publiques... À un moment donné, j'ai réalisé que j'arrivais au bout de ce que je pouvais lui donner en termes de créativité. Mes amis et moi avons alors créé une agence appelée "ARIAL BOLD". Nous avons travaillé avec des marques locales et de grandes marques comme H&M. Lorsque la pandémie a commencé, tous les projets ont été annulés. J'ai eu 6 mois de paresse. C'est alors que @stylenotcom est né. C'était 10 ans de réflexion autour de la mode qui arrivait à leur terme. Un moyen d'exprimer toutes les idées que j'avais accumulées.

"La mode n'est pas cruelle, au contraire. Et croyez-moi quand je vous dis que j'étais effrayé et stressé par cet environnement."

@stylenotcom

Maintenant que vous êtes un insider, que pensez-vous de l'industrie de la mode ? Est-elle fidèle à l'image que vous en aviez ?

Je me suis à nouveau rendu compte que c'était le seul endroit où je veux travailler. J'ai fait le bon choix. Il y a tellement de gens qui aiment la mode autant que moi, voire plus. Ils l'aiment de tout leur cour et y mettent toute leur intelligence. La mode n'est pas cruelle, au contraire. Et croyez-moi quand je vous dis que j'étais effrayé et stressé par cet environnement. J'ai toujours été très timide. Je ne suis pas capable de leur parler directement, mais comme ils viennent me parler d'eux-mêmes, c'est un soulagement ! S'ils viennent me voir, je ne m'arrête jamais de parler (rires). J'ai appris tellement de choses. Grâce à la mode, j'ai pu acquérir une grande ouverture d'esprit. Ce sont les meilleures personnes de cette industrie qui me donnent les meilleurs conseils.

Lorsque quelqu'un m'a un jour demandé : "Quelle est la chose que tu as aimée depuis que tu as percé dans ce milieu ?", j'ai répondu : "Il ne s'agit pas d'un bel hôtel, d'un dîner ou d'une place au premier rang - je suis toujours prêt à rester debout à n'importe quel défilé -, ce sont les gens. Seulement les gens." Je reste passionné par la mode parce que j'ai encore tant de gens à rencontrer. Par exemple, j'ai rencontré Carine Roitfeld cette semaine, c'est un rêve devenu réalité. Depuis que je veux faire ce métier, son travail m'inspire. La rencontre a duré près de deux heures. Après la réunion, je l'ai textotée en lui disant : "Merci pour tout ça." Maintenant, je peux enfin lui dire bonjour lors des défilés. J'ai dit à un de mes amis que j'avais rencontré la "reine de la mode" et il m'a répondu "c'est l'impératrice de la mode" (rires). Meisel, Kate, Naomi, Loïc... Il y a tellement de personnes intéressantes dans ce monde avec lesquelles j'aimerais discuter. Je suis dans la mode parce que je veux tout savoir de ce que pensent ces gens-là justement.

mercredi 21 juin 2023 19:24:38 Categories: GQ

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