Le Point

Que vaut « The Walking Dead: Dead City » ?

logo de Le Point Le Point 20.06.2023 23:24:19 Par Elise Lépine

Les fans de la série, tout comme ses détracteurs, le savent, The Walking Dead n'en finit pas de revenir d'entre les morts. Après avoir clôturé la série-mère l'an dernier lors de son ultime et 11e saison, l'univers se déploie en spin-off. L'un des plus attendus est disponible depuis le 18 juin sur OCS : The Walking Dead: Dead City. 

Pourquoi une telle impatience chez les aficionados de la série ? Parce qu'il met en scène deux de ses survivants mythiques : Negan (Jeffrey Dean Morgan), le grand méchant à blouson de cuir, jadis armé d'une batte entortillée de fil de fer (sa chère Lucile), et Maggie (Lauren Cohan), dite « La Veuve », dont le mari Glenn fut tué par Negan, à grands coups de Lucile (oui Lucile la batte, pour les néophytes). 

La séquence, située au début de la saison 7 et signée Scott Gimple (scénariste de plusieurs saisons de la série originelle et coproducteur de ce spin-off, réalisé par Eli Jorne), constitue l'une des scènes les plus choquantes des onze saisons. Glenn, défiguré par un strike impitoyable, tente de dire quelques mots d'adieu à sa femme en état de choc, l'un de ses yeux à moitié sorti de son orbite. L'image, qui hante encore nos rétines, a fait l'objet de plusieurs séquences-souvenirs au fil de la série ? y compris dans ce spin-off, lorsque Maggie se remémore l'événement, ?il exorbité inclus. 

Avec cette vision-choc, érigée en souvenir matriciel, auquel répond systématiquement la colère sans fin de Maggie contre Negan, The Walking Dead avait défini l'un de ses grands principes : même dans un monde où les alliances entre vieux ennemis sont monnaie courante et où la rédemption est reine, faire sauter le visage d'un homme à coups de batte embarbellée sous les yeux de sa femme enceinte, voilà l'impardonnable, le grand tabou, la ligne rouge à ne pas dépasser.

La repentance affichée de Negan, emprisonné, puis vaguement accepté par le groupe de Rick Grimes après avoir sauvé sa fille Judith, a fini par devenir le serpent de mer de la série en termes de grande question éthique : oui, il était désolé. Non, Maggie n'allait pas faire table rase du passé. Sauf que le bonhomme est revenu à la charge, d'épisode en épisode, faisant fondre les téléspectateurs, et monter la mayonnaise de notre désir ? un peu contre-nature, avouons-le ? de grand pardon. Il était temps de mettre cet enjeu crucial au c?ur d'une série. 

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Dans ce spin-off, Herschel, le fils que Maggie attendait quand Glenn a été tué, désormais adolescent, vient d'être enlevé par un sordide individu dit « Le Psychopathe », ancien disciple de Negan, période mal absolu (comme son nom le laissait présager !). 

Le ravisseur a emmené l'adolescent dans Manhattan, où il a fondé une communauté sur le modèle de celle que dirigeait Negan au temps où il n'était qu'un monstre sans conscience, alimentée par du méthane obtenu en distillant les cadavres qui peuplent l'île (bon appétit !). Un seul homme peut traquer Le Psychopathe et ramener Herschel aux siens : Negan, qui connaît toutes les méthodes de son ancien poulain. 

Toujours dans l'espoir de se racheter, il n'hésite pas à suivre Maggie dans ce sombre dédale de gratte-ciel en ruines. On attendait beaucoup, à la simple évocation de Manhattan, du décor de Dead City. Car qu'est-ce qui est mieux qu'un film ayant New York pour cadre ? Un film ayant New York pour cadre après l'apocalypse. Les spectateurs, en particulier ceux biberonnés au cinéma de genre, chérissent les images de la Grosse Pomme post-tsunami, figée dans la glace d'un nouveau permafrost dans Le Jour d'après de Roland Emmerich, en proie à King Kong ou à Godzilla, à des extraterrestres, comme dans Cloverfield de Matt Reeves, ou à des créatures hybrides entre le zombie et le vampire, telles qu'on les a vues dans Je suis une légende (dans la version de 1964 signée Ubaldo Ragona et Sidney Salkow, ou le remake de 2007 réalisé par Francis Lawrence). 

Qu'allait donc donner la version urbaine et new-yorkaise de l'univers de The Walking Dead, dont les survivants ont bien vite déserté une Atlanta surpeuplée de cadavres ambulants (le plan de Rick Grimes la quittant à cheval, laissant derrière lui une ville couleur de rouille aux immeubles déserts, d'où s'échappe une horde de zombies, dans la saison 1, est devenu mythique), pour rejoindre la campagne géorgienne (ah, cette voie ferrée traversant des forêts dont les tapis de feuilles mortes crissent lugubrement sous le talon moisissant des morts-vivants !), ses maisons de maître transformées en bunkers, ses villes pavillonnaires renforcées et blindées ? 

Le spin-offjoue sur le caractère insulaire de Manhattan. On apprend que le quartier est tombé très vite sous la dent des zombies. Abandonnés par l'État, ses habitants ont été coupés du monde ? adieux bateaux, barques et ferries. Impossible de nager dans les eaux sombres de l'Hudson ou de l'East River : leurs eaux grouillent de corps en décomposition, dont les mâchoires claquent encore, menaçant de transformer la moindre brasse en expérience mortelle. 

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Si les plans sur les gratte-ciel à moitié en ruine ne sont pas des plus spectaculaires ? on a vu bien mieux, en termes d'urbex post-apocalyptique, dans The Last of Us, pour ne citer que cette récente merveille d'HBO, diffusée surPrime Video ?, l'impression de délabrement et de cloaque qui se dégage du paysage de Manhattan dystopique est forte, toute en lumières bleuâtres la nuit et en sépia de jour. On adore tout particulièrement l'ingénieux système de tyroliennes mis en place par les survivants qui peuplent le quartier new-yorkais : ces filins d'acier reliant les buildings dévorés par une végétation luxuriante, sur lesquels les derniers humains volent en mode Tarzan et Jane, mettent l'accent sur la sauvagerie des lieux. Tout, ou presque, se passe dans les airs : au sol, les zombies pullulent, sous l'?il impavide des cervidés qui ont pris leurs aises. 

Dans ces lieux, un clan de survivants de la première heure, ayant évolué en une équipe de chasseurs-cueilleurs aux hardes semi-médiévales, soudée par des liens forts d'amour et d'amitié, subit les attaques brutales du Psychopathe. Ils uniront leurs forces à celles de Negan et Maggie afin d'infiltrer le « Refuge » fondé par le Psychopathe, antre de béton et d'acier dans les entrailles de laquelle pourrissent les corps voués à produire le méthane qui fait tourner la ville. 

Forgé sur le modèle de la Trocpolis dans Mad Max, Au-delà du dôme du tonnerre, auquel Dead City rend un hommage appuyé, le Refuge cuit dans ses entrailles le peu ragoûtant combustible (rappelons que la ville de Mad Max tournait à la crotte de cochon), tandis qu'à ses étages supérieurs, la population trime et s'organise pour survivre, sous la houlette d'un Psychopathe vivant dans l'opulence ? à l'image d'Aunty Entity (magistrale Tina Turner) dans le film de George Miller ? en mille fois plus cruel. Au centre du complexe, hommage oblige, il y a l'arène, dôme grillagé au c?ur duquel les prisonniers du Psychopathe affrontent, pour son bon plaisir et la joie de ses vassaux, des morts-vivants voraces. 

Ce grand bal des vieux routards de la survie est à la hauteur de ce qu'attendent les fans. Dead City déborde de bonnes bastons et d'attaques zombiesques sanguinolentes à souhait. Il y a là du crasseux, du purulent, du haletant, de l'émotion, des trahisons, tout ce qui fait l'ADN de la série-mère. On est heureux de trouver dans ce nouvel univers une esthétique du bizarre poussée à un niveau inédit dans The Walking Dead : outre l'idée très « madmaxienne » du méthane créé à partir de corps pourris, on croise quantité de rats surgissant de bouches édentées, des cadavres frankensteiniens flottant dans des tubes remplis d'eau phosphorescente, des montagnes de gélatine humaine, et même un zombie à plusieurs têtes, fruit d'un horrible amalgame de corps putréfiés. 

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L'agréable saveur de renouveau prodiguée par le spin-off tient aussi à sa façon de lorgner vers le thriller plus que ne le faisait la série originelle. Moins tonique que certaines saisons de The Walking Dead,dans laquelle les batailles épiques et les morts tragiques se succédaient parfois à un rythme un peu fou (les bonnes années), la série prend son temps et met à profit son ambiance crépusculaire, plus proche du film noir tendance hardboiled que de l'?uvre de science-fiction. Un personnage de flic psychorigide, lancé aux trousses de Negan, sonne les cloches lugubres de ce réjouissant mariage entre zombie et polar. 

À cette nouveauté s'ajoute l'ingrédient classique et magique de la série : la jeunesse, en tant qu'incarnation d'un avenir possible. Negan, qui a été séparé de sa femme ? on a hâte de savoir si retrouvailles il y aura, rappelons qu'elle était enceinte à la fin de l'ultime saison ! ?, a pris sous son aile une adolescente mutique, Ginny, qui voit en lui un père de substitution, offrant un peu vite l'absolution à cet indécrottable grand méchant loup. 

Avouons-le : depuis son arrivée dans la série, au cours de la saison 6, Negan fascine. Il a beau avoir été un ignoble scélérat, il est drôle, cynique, et même un peu sexy ? voire beaucoup, si on est sensible au perfecto. Le vernis bravache de sa carapace, sa cruauté raffinée ont fondu au contact du clan du regretté Rick Grimes. Depuis sa sortie de prison, il s'est montré sentimental, torturé, amoureux, vulnérable. 

Dans ce spin-off, il apparaît vieillissant, fragile, trébuchant. Le pauvre bougre n'a qu'un seul désir, rentrer chez lui, mettre ceux qu'il aime à l'abri, ne plus jouer les bad boys. Incarné par l'irrésistible Jeffrey Dean Morgan, acteur formidable, il nous émeut. 

Mais la série a le bon goût de ne pas en faire un saint : d'épisode en épisode, le survivant n'en finit pas d'affronter sa part d'ombre, vivifiant le schéma ronronnant du gentil garçon désolé multipliant les bonnes actions pour gagner son paradis. Sous ses airs de papa sympa, Negan se débat avec sa brute intérieure. Cet enjeu devient plus intéressant que l'absolution de Maggie, un peu lassante dans son rôle immuable de maman badass à l'air perpétuellement furieux. Prometteuse, la saison s'achève sur un solide cliffhanger. Vivement la suite ! 

mercredi 21 juin 2023 02:24:19 Categories: Le Point

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