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Fonds Marianne : que risque Marlène Schiappa s'il s'avère qu'elle a menti sous serment devant la commission d'enquête ?

logo de Liberation Liberation 20.06.2023 20:24:42 Elsa de La Roche Saint-André
Marlène Schiappa auditionnée dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire sur la gestion du fonds Marianne, à Paris le 14 juin 2023.

Marlène Schiappa a «menti» devant la commission d'enquête parlementaire sur la gestion du fonds Marianne. L'accusation, grave, vient de Jean-François Husson, rapporteur de ladite commission. Le rapport rendu à l'issue de ses travaux conclura que Schiappa «ne dit pas la vérité», a asséné le sénateur LR dans une interview accordée aux journaux du groupe Ebra (le Progrès, l'Est Républicain, l'Alsace, etc.), comme l'a rapporté Libération ce mardi 20 juin. Lors de son audition mercredi 14 juin, la secrétaire d'Etat chargée de la vie associative s'est évertuée à nier toute responsabilité dans l'affaire, alors même que de nombreux éléments matériels tendent à démontrer son implication dans le processus de sélection des bénéficiaires du fonds.

S'il s'avère que Marlène Schiappa a effectivement menti aux membres de la commission d'enquête, quelles seraient les conséquences ? La semaine dernière, juste avant d'interroger la ministre, le sénateur PS Claude Raynal, qui préside la commission, avait rappelé «qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende».

Le faux témoignage est en effet un délit puni par le code pénal. L'article 434-13 définit cette infraction comme «le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d'une commission rogatoire» et prévoit une sanction «de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende». Peine dont le faux témoin est exempté «s'il a rétracté spontanément son témoignage avant la décision mettant fin à la procédure». Mais peine qui peut à l'inverse s'aggraver dans les cas où le témoignage mensonger «est provoqué par la remise d'un don ou d'une récompense quelconque» ou a été proféré à l'encontre d'un prévenu «passible d'une peine criminelle». La sanction peut alors atteindre «sept ans d'emprisonnement et [.] 100 000 euros d'amende», comme en dispose l'article 434-14 du code pénal.

«Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la constitution du délit de faux témoignage suppose l'affirmation d'un fait inexact, la négation d'un fait véritable ou une omission volontaire, d'une part, faits de mauvaise foi et avec une intention dolosive, d'autre part», note la professeure de droit public Elina Lemaire, dans un article publié sur le site du Club des juristes, groupe de réflexion juridique. Où la publiciste précise par ailleurs que «le délit de faux témoignage a pour objet principal la protection du bon fonctionnement de la justice : si la quête de la vérité est le cour de l'office du juge, cette quête ne doit pas être entravée par des témoignages mensongers». Par extension, cette règle de droit - qui a donc initialement vocation à s'appliquer aux témoignages prononcés devant une juridiction - a été transposée aux commissions d'enquête de l'Assemblée et du Sénat, suivant la logique qui voudrait qu'«à l'instar du juge, les parlementaires "enquêteurs" cherchent à faire la lumière sur la vérité, ici "politique"», souligne Elina Lemaire.

Ainsi, l'article 6 d'une ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit qu'«en cas de faux témoignage» devant une commission d'enquête, les dispositions des articles 434-13 et 434-14 du code pénal s'appliquent. Des poursuites judiciaires peuvent alors être intentées «à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l'assemblée intéressée» (comme le rappelle également l'Assemblée nationale sur son site).

Dans le cas de Marlène Schiappa, ces poursuites devraient a priori être exercées auprès de la Cour de justice de la République, devant laquelle «les membres du Gouvernement sont pénalement responsables [.] pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou de délits au moment où ils ont été commis», en vertu de la Constitution. Ici, c'est bien en sa qualité de ministre que Schiappa a été entendue par la commission d'enquête sur la gestion du fonds Marianne.

La secrétaire d'Etat pourrait-elle être déférée devant la Cour de justice de la République ? A ce stade, le président de la commission Claude Raynal n'a pas saisi la justice d'un signalement de faux témoignage, comme CheckNews a pu se le faire confirmer. Sollicité, le rapporteur Jean-François Husson se contente d'indiquer : «Nous sommes en train de rassembler les éléments, déclarations et documents objet de nos échanges et auditions. Ils serviront naturellement à établir notre rapport qui devrait clarifier les rôles de chacun» dans l'affaire.

Ces dernières années, des faits de faux témoignages devant les commissions d'enquête diligentées par les deux assemblées parlementaires ont été à plusieurs reprises remontés à la justice. Il y a de cela moins un mois, dans la foulée de l'audition de Marine Le Pen par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative aux ingérences de puissances étrangères, les députés EE-LV Julien Bayou et Renaissance Stéphane Vojetta avaient fait part de leur intention de saisir le bureau de l'Assemblée nationale en vue d'un signalement à la justice. La cheffe de file du Rassemblement national se serait, selon ces deux membres de la commission, rendue coupable de «faux témoignage» concernant les conditions dans lesquels le prêt contracté par son parti en 2014 auprès d'une banque russe a ensuite été cédé à Aviazapchast, une société dirigée par d'anciens militaires proches des services secrets russes.

En mars, le Sénat avait annoncé dans un communiqué avoir «saisi la justice pour une suspicion de faux témoignage devant la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques». Le signalement de la chambre haute portait sur les propos d'un dirigeant d'une succursale française du cabinet de conseil McKinsey, qui avait déclaré : «Nous payons l'impôt sur les sociétés en France.» Or l'enquête de la commission sénatoriale révélait que McKinsey n'a pas payé d'impôts sur les sociétés en France depuis au moins dix ans.

Plus tôt, en 2019, le Sénat avait notamment transmis à la justice les cas d'Alexandre Benalla et Vincent Crase, auteurs d'une interpellation musclée à Paris le 1er mai 2018, suspectés d'avoir menti devant la «commission Benalla» - nom communément utilisé pour désigner la commission d'enquête relative aux «conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements». Il faudra d'abord attendre qu'ils soient jugés pour les faits commis en 2018, avant que la justice ne se penche sur la véracité de leurs témoignages.

A ce jour, une seule personne a été condamnée en raison de son témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire. Lors de son audition devant la commission sénatoriale sur le coût de la pollution de l'air, en 2015, le pneumologue Michel Aubier avait juré n'avoir «aucun lien d'intérêt avec les acteurs économiques» du secteur des énergies fossiles. Sauf que, comme Libération l'a révélé un an plus tard, il était en fait employé par le pétrolier Total depuis 1997 comme médecin-conseil des dirigeants du groupe, en plus d'être membre du conseil d'administration de la Fondation Total. Saisie par le bureau du Sénat, la justice a finalement condamné le médecin, à l'issue du jugement d'appel prononcé en 2018, à une peine de 20 000 euros d'amende.

mardi 20 juin 2023 23:24:42 Categories: Liberation

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