Liberation

Manifestation des hospitaliers : «Le personnel est épuisé, on s'attend à un été rouge»

logo de Liberation Liberation 20.06.2023 19:54:44 Apolline Le Romanser
Des salariés d'hôpitaux manifestaient un peu partout en France (ici à Bordeaux), mardi 20 juin 2023.

«Catastrophe». Le mot revient, sans cesse. Parmi la centaine d'agents hospitaliers qui s'étaient réunis ce mardi en fin de matinée devant l'Hôtel de ville de Paris, il illustre la lassitude, la colère et la fatigue. Une nouvelle fois, les soignants sont rassemblés pour alerter sur la crise de l'hôpital, le manque d'effectif, des salaires trop bas et grignotés par l'inflation, des conditions de travail qui ne font que se dégrader au fur et à mesure que leurs collègues craquent, les délais de prise en charges allongés et les pertes de chance pour les patients.

Avant la période estivale, avec ses congés et probables canicules qui ne vont faire qu'aggraver la situation, quatre des cinq syndicats de la profession avaient appelé ce mardi à des mobilisations dans toute la France. A Paris, pas de blouse blanche : les manifestants ont préféré revêtir leurs couleurs syndicales, le rouge de la CGT ou de Force ouvrière, le bleu de l'Unsa, le violet de Sud Santé. Comme pour donner plus de visibilité à leurs revendications et leur exaspération. «Avec les congés d'été, les services vont tourner au minimum, appréhende sous son chapeau gris Didier Birig, secrétaire fédéral de Force ouvrière. On est très inquiets, le personnel est épuisé, on s'attend à un été rouge.»

Déjà, les hôpitaux se préparent à la dégradation à venir ; certaines agences régionales de Santé, comme celles du Grand Est, appellent des étudiants ou retraités en renfort. Certains services, comme les urgences de nuit de Redon (Ille-et-Vilaine), sont déjà fermés et ne rouvriront pas avant septembre. Le ministre de la Santé, François Braun, doit annoncer d'ici la fin du mois de juin les mesures prises pour aborder la période estivale. Les syndicats s'attendent à d'énièmes effets d'annonce et dénoncent un dialogue social absent.

«L'hôpital a tenu l'été dernier, mais c'est le principe d'une digue : dès qu'on va commencer à lâcher, tout va s'effondrer», prévient Yann Le Baron, secrétaire général de l'Unsa. Sa rage monte en même temps qu'il déroule ses arguments, et finit par s'emparer de sa voix et ses gestes vifs. «Beaucoup de collègues ne peuvent pas prendre trois semaines de congé parce que sinon les services ne tourneront pas, déplore-t-il en lâchant sa cigarette sur le bitume. A l'hôpital, les gens crèvent, les collègues rendent leur blouse, parce qu'ils ne veulent plus rentrer chez eux, pleurer et revenir le lendemain. Ça ne peut plus tenir.»

Depuis son hôpital de Montpellier, Sébastien, infirmier, n'entrevoit pas un meilleur horizon. «On avait déjà des difficultés l'an dernier. Là, les taux d'occupation [des hôpitaux] vont exploser, alors qu'on est déjà sur les rotules.» Dans son établissement, le dispositif pour cet été est encore en discussion. Mais il redoute déjà les fermetures de lits et les délais de prise en charge rallongés. «Ils envisagent la fermeture de consultations dites "non-indispensables" pour redéployer du personnel non médical [dont les aides-soignants et infirmiers, ndlr] dans d'autres services. Mais ce n'est pas sécuritaire pour les patients : la polyvalence a des limites !»

Cheveux noirs attachés en un chignon, Herminia garde son calme. Mais ses paroles trahissent son inquiétude. Depuis 37 ans qu'elle est aide-soignante, les conditions de travail n'ont fait qu'empirer. «Les collègues sont angoissées, convient-elle. Dans mon service de gériatrie, on travaille en sous-effectif toute l'année et, pendant ces deux mois d'été, il n'y aura pas de remplacement.» Alors beaucoup vont certainement devoir bosser sur leurs jours de repos, compenser les absences dans leurs équipes, jusqu'à s'épuiser à la fin de l'été. En bout de chaîne, leurs patients âgés déjà fragilisés par les chaleurs vont aussi en pâtir. «On ne pourra pas tout faire. Pendant cette période, on essaie de privilégier la nourriture, l'eau. On sera obligés de rogner sur l'hygiène, supprimer des douches qui permettent aussi de les rafraîchir.»

Ses patients «maltraités», Sabrina y pense tous les jours. A 7 heures du matin, quand l'infirmière prend son poste aux urgences d'Avicenne, à Bobigny, il y en a «minimum dix» qui attendent une hospitalisation, dans le couloir, sur un brancard voire une chaise. Un avant-goût de la journée à venir. Avec ses deux collègues, elles doivent généralement s'occuper de 60 patients à la fois. Cet été, ce sera pire. Une nouvelle fois, elle enchaînera tous les week-ends pendant deux mois et fera en sorte de tenir. «C'est difficile chaque année, aujourd'hui nous sommes encore plus épuisés.»

Entre les rangs des manifestants et les drapeaux colorés, les avis divergent sur les perspectives estivales, pas sur l'état des soignants : «Ça va craquer» prédisent les uns. «L'hôpital tiendra, assurent d'autres, seulement, on ne sait pas dans quel état et à quel prix.» Sabrina penche vers le deuxième avis, en haussant tristement ses épaules couvertes d'un débardeur rose. «La base va faire tenir l'hôpital, pour les patients, on ne sait pas trop comment. Parce que si nous, on s'arrête, qui va s'occuper d'eux ?»

mardi 20 juin 2023 22:54:44 Categories: Liberation

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