Le Monde

Les liens économiques entre la France et le Maroc, victimes collatérales des tensions diplomatiques

logo de Le Monde Le Monde 20.06.2023 14:24:27 Nadia Ben Mahfoudh
Geoffroy Roux de Bezieux, le président du Medef, à Paris, le 22 mai 2023.

La visite de Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, a été annulée du fait des mauvaises relations entre les deux pays. Le royaume n'a plus d'ambassadeur à Paris depuis janvier.

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Mouvement des entreprises de France (Medef), ne se rendra pas au Maroc. Alors qu'il devait être reçu lundi 26 juin par ses homologues de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), le patron des patrons français a été invité à reporter sa visite. En cause, selon une source à la CGEM : un mauvais timing « dû au contexte actuel des relations Maroc-France, qui ne se prête pas à cette visite ».

L'invitation n'avait pas été lancée par la CGEM, assure une source proche du dossier au Maroc, précisant que c'est Geoffroy Roux de Bézieux qui avait exprimé sa volonté de venir avant la fin de son mandat, le 6 juillet. « Il y a certes des contextes politiques, mais nous sommes des chefs d'entreprise, nous ne faisons pas de politique, avait déclaré Fabrice Le Saché, porte-parole du Medef, au média marocain Le360. Ce qui nous intéresse, comme nos homologues marocains, ce sont nos projets. Il faut réussir à bien distinguer les choses. La coloration politique peut, certes, influencer, surtout pour les contrats publics. Mais les entreprises privées, entre elles, cherchent les meilleures technologies, les meilleurs investisseurs. »

Les liens économiques entre les deux pays sont historiquement forts. En 2022, la France a été le premier investisseur étranger au Maroc, devant les Etats-Unis et les Emirats arabes unis. Concernant le volet touristique, elle est le premier vivier du royaume, avec plus de 1 million de Français venus y passer des vacances au premier trimestre 2023. Pour ce qui est des investissements directs étrangers (IDE), la France conserve là encore la première place. En revanche, Paris a reculé à la deuxième place des partenaires commerciaux du pays, derrière l'Espagne depuis 2017.

De son côté, le Maroc « demeure le premier pays d'Afrique en termes d'IDE nets, le premier en termes d'emplois créés et le deuxième en nombre de projets implantés (12) en France en 2022 », a indiqué l'ambassade de France au Maroc dans un communiqué publié en mai. « Les liens économiques entre Rabat et Paris sont une évidence depuis toujours, confirme l'économiste marocain Najib Akesbi. Même si aujourd'hui, il y a des interférences politiques. »

Le royaume n'a plus d'ambassadeur à Paris depuis le 19 janvier, jour du vote au Parlement européen d'un texte non contraignant dénonçant le sort réservé aux journalistes marocains emprisonnés et affirmant la « préoccupation » des députés européens quant à l'implication supposée du Maroc dans un scandale de corruption. A Rabat, on dénonce une campagne d'attaques et de harcèlement, orchestrée notamment par le député européen Stéphane Séjourné, secrétaire général de Renaissance, le parti du président Emmanuel Macron.

Autre dossier sensible : celui du territoire disputé du Sahara occidental. Lors du discours du Trône d'août 2022, Mohammed VI fixait une ligne dure. Le Sahara est aujourd'hui « le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international », expliquait le souverain. Le royaume fait donc désormais savoir à la France qu'il attend une prise de position forte, à l'instar de Washington, qui a reconnu la souveraineté marocaine sur la région. Par ailleurs, les tentatives de rapprochement entre la France et l'Algérie, soutien des indépendantistes sahraouis, sont très mal perçues par le Maroc.

C'est ce contexte que la CGEM invoque pour justifier l'annulation de la visite de Geoffroy Roux de Bézieux. « Qui peut imaginer une seconde que la décision de la CGEM soit autonome ? Personne ne peut croire cela, pointe Najib Akesbi. C'est un rappel à l'ordre politique du pouvoir auprès de la CGEM. » Pour l'économiste, les intérêts économiques français et marocains sont imbriqués et s'articulent autour des élites des deux pays : « En France, il existe des lobbys qui veillent et agissent pour le maintien de ces relations. Il faut croire que pour l'instant, ils n'arrivent pas à suffisamment influencer l'Elysée. Au Maroc, le jeu est moins subtil. L'économie et la politique ne font qu'un. Les intérêts des élites marocaines sont trop importants pour prendre le risque de les perdre. Aujourd'hui, ce sont les mécanismes d'influence des élites qui vacillent. »

« L'économie et les gros marchés sont des cartes de négociation politiques utilisées aussi bien par le Maroc que par la France », poursuit Najib Akesbi. Par exemple, pour l'extension du réseau de train à grande vitesse (TGV) avec la ligne reliant Marrakech à Agadir, des groupes français ont déjà manifesté la volonté d'accompagner l'Office national des chemins de fer (ONCF). Le groupe SNCF souhaite participer à la conception de la ligne à grande vitesse et la multinationale Alstom aimerait équiper le projet en locomotives et wagons, comme elle l'avait fait pour le premier tronçon de TGV reliant Casablanca à Tanger. Mais les autorités marocaines ouvrent la porte à d'autres pays comme la Chine ou l'Espagne.

La presse locale relaie régulièrement l'idée que la position de la France au Maroc n'est plus acquise et que des appels d'offres doivent permettre au royaume d'étudier toutes ses possibilités. « Evidemment, le résultat ces appels d'offres n'est que la matérialisation des rapprochements entre Etats », souligne Najib Akesbi.

Autre marché convoité par les grands groupes français, celui de l'hydrogène vert. Mais en 2020, c'est vers l'Allemagne que le royaume s'est tourné. Les deux Etats ont signé une déclaration d'intention commune sur le développement de cette énergie au Maroc. La banque allemande de développement KfW financera la construction d'une usine de production d'hydrogène vert pour 300 millions d'euros.

Enfin, en ce qui concerne le nucléaire civil et pour atteindre l'objectif du Maroc d'atteindre 52 % d'énergies renouvelables d'ici à 2030, un accord bilatéral avec Moscou est en cours de discussion. Le texte prévoit la création, entre autres, de réacteurs de recherche et de puissance, d'accélérateurs de particules élémentaires et d'un système de gestion de déchets radioactifs.

Mais pour Najib Akesbi, « rien n'est joué » : « Si ces marchés étaient attribués rapidement à d'autres pays que la France, ce serait un signe fort, mais pour l'instant, il ne se passe rien. Un changement de cap aussi radical remettrait trop de fondamentaux en question. »

Quant à l'actuel président du Medef, « il aura l'occasion de venir au Maroc en 2024 », affirme une source à la CGEM, qui assure que les liens qui unissent les patronats marocain et français demeurent forts. La rencontre des entrepreneurs francophones organisée par l'Alliance des patronats francophones (APF), présidée par Geoffroy Roux de Bézieux, aura lieu sur le sol marocain l'année prochaine.

mardi 20 juin 2023 17:24:27 Categories: Le Monde

ShareButton
ShareButton
ShareButton
  • RSS

Suomi sisu kantaa
NorpaNet Beta 1.1.0.18818 - Firebird 5.0 LI-V6.3.2.1497

TetraSys Oy.

TetraSys Oy.