La majorité est-elle arrivée à composer avec une Assemblée qu'on disait ingouvernable, faute de majorité absolue au lendemain des législatives ?Ce lundi 19 juin 2023, la XVIe législature fête son premier anniversaire. Depuis un an, les 251 députés de l'alliance présidentielle naviguent dans les eaux tumultueuses d'un Palais-Bourbon où la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) (151 sièges) et le Rassemblement national (RN) (88 sièges) profitent de leur percée électorale en 2022.
Le parti présidentiel a dû fourbir ses armes pour faire voter ses projets de lois, avec une majorité très relative. Entre « majorité d'actions », « 49.3 » et astuces constitutionnelles, « L'Obs » revient, par trois dates emblématiques, sur les méthodes du parti présidentiel et de ses alliés pour gouverner avec - ou contre - un Parlement hétéroclite.
Au soir des élections législatives, la cheffe du gouvernement avait pris acte d'un échec, qui l'obligeait à construire « des majorités d'actions », texte par texte. Une méthode de compromis et d'alliances pour aller chercher à chaque vote les 27 députés manquant à la macronie. Premier test, la loi pouvoir d'achat est votée en première lecture le 22 juillet 2022. Ce texte porté devant les députés par le gouvernement est l'occasion pour Elisabeth Borne d'expérimenter, avec un sujet consensuel sur fond d'inflation galopante, la capacité de sa majorité à manouvrer dans un Hémicycle éclaté.
Résultat : 341 pour, 116 contre, 21 abstentions. Victoire pour la majorité, qui voit le RN et Les Républicains voter en faveur du texte malgré des débats houleux. Au centre de l'Hémicycle, c'est le soulagement. « L'esprit de responsabilité l'a emporté », s'était félicitée la Première ministre. Auprès de « l'Obs », la rapporteure du projet de loi Charlotte Parmentier-Lecocq (Renaissance) raconte que la solution a été de « faire adhérer les groupes au projet », pour « qu'ils aient le sentiment d'apporter leur pierre à l'édifice ». Pour y parvenir, la majorité a mis dans le même paquet législatif la déconjugalisation de l'allocation adulte handicapé, portée notamment par la gauche, et la défiscalisation des heures supplémentaires, mesure des Républicains.
La députée du Nord se souvient d'un « marqueur fort », qui montre la « capacité de la majorité à négocier et faire des compromis ». « Ça donnait de l'espoir », explique-t-elle, alors que les députés Renaissance se demandaient s'ils allaient « réussir à faire quelque chose à l'Assemblée ». Pour eux, c'était le signe d'un futur pas si gris au Palais-Bourbon - confirmé le 3 août, quand l'adoption définitive de la loi leur octroie une majorité plus confortable encore.
Si la majorité s'est rassurée sur le vote de la loi pouvoir d'achat, elle s'est aussi trouvé un adversaire tenace : La France insoumise. Déjà, le 5 juillet 2022, le parti majoritaire de la Nupes mettait sur la table un contre-projet de la loi pouvoir d'achat, valorisant les salaires. Puis, le jour du vote, LFI a été le parti le plus fortement opposé au projet, avec 74 voix sur 75.
Il n'aura fallu que quatre mois au gouvernement pour se résoudre à utiliser l'article 49.3 de la Constitution, qui permet au gouvernement de forcer le passage d'une loi en engageant sa responsabilité. L'illusion d'un Parlement qui serait le reflet des forces politiques françaises dialoguant entre elles pour trouver des compromis s'effrite ce jour-là.
Après six jours de discussion à l'Assemblée nationale, le gouvernement comprend que le vote duprojet de loi finances 2023 ne passera pas. Le 19 octobre, le verdict tombe : Elisabeth Borne engage la responsabilité de son gouvernement. Si des amendements de la majorité sont conservés, ce n'est pas le cas de ceux du RN et de LFI. Ces derniers déposent chacun une motion de censure, toutes deux rejetées.
Bis repetita, le 20 octobre, puis le 26. Au total, du 19 octobre au 15 décembre 2022, Elisabeth Borne a eu recours à l'article magique, pour faire adopter le budget, pas moins de10 fois pendant cette période, pour 12 motions de censure. Un ratio record dans l'histoire de la Ve République, permis par la défiance à la fois du RN et de la Nupes qui ont parfois activité la procédure séparément pour le même 49.3.
Un parti d'opposition joue la temporisation dans ce bal des motions de censure : Les Républicains. Si le vote du budget est souvent un indicateur distinguant les partis d'opposition et de la majorité, LR apparaît dès lors comme un groupe pivot pour Renaissance. Sur France 2, Emmanuel Macron ira même jusqu'à appeler à « faire alliance » avec Les Républicains.
Battre le Parlement tant qu'il est chaud. Le 23 janvier, le parti présidentiel annonce qu'il fera passer sa réforme phare - celle des retraites - au moyen d'un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale (PLFRSS).
Bien plus qu'un détail technique, cette astuce permet au gouvernement d'engager à nouveau un 49.3, illimité sur les textes budgétaires, mais aussi de réduire le temps des débats dans une Assemblée remontée à bloc. C'est l'article 47-1 de la Constitution qui permet de faire voter en urgence des textes de financement de la Sécurité sociale et limite le temps des débats au Palais-Bourbon à 20 jours. Charlotte Parmentier-Lecocq, elle, considère « qu'il y avait le temps de débattre sur le fond », et rejette la faute de l'utilisation du 49.3 sur LFI et ses « dizaines de milliers d'amendements ».
Le 10 mars, c'est au tour de l'article 44 de la Constitution d'être invoqué quand la réforme des retraites arrive au Sénat. Ce qu'on appelle le « vote bloqué » permet au gouvernement d'empêcher les parlementaires d'exercer leur droit d'amendement. Pour ce faire, il provoque le vote du texte avant que tous les changements proposés ne soient discutés « en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement ».
A l'Assemblée nationale, le 16 mars, Elisabeth Borne passe en force sous les huées de certains élus de la Nupes avec l'article 49.3 pour adopter la réforme des retraites. le 11e de son mandat. Impuissante, l'Assemblée tente de renverser le gouvernement avec le vote d'une motion de censure transpartisane du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot) à laquelle neuf voix ont manqué. La rue, elle, gronde.
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Nouvel, et ultime espoir, pour les opposants à la réforme : le vote d'une loi d'abrogation, en mai. Le groupe Liot dépose une proposition de loi, dénaturée en commission, qui permet à la présidente de l'Assemblée nationale d'utiliser un nouvel article de la Constitution - l'article 40 - pour retoquer un amendement qui devait être débattu, en l'occurrence celui abrogeant le départ à 64 ans de la réforme des retraites, au Palais-Bourbon si celui-ci engendre une charge supplémentaire pour l'Etat. Cette activation, « rompant avec toute tradition » institutionnelle pour Eric Coquerel (LFI), montre une nouvelle fois que le parti présidentiel fait de l'optimisation constitutionnelle pour éviter le vote.