Liberation

Dans le sillage de Tabarly

logo de Liberation Liberation 17.06.2023 03:54:09 Didier Arnaud
Gérard Petipas, ancien navigateur et équipier d'Eric Tabarly, et organisateur de l'épreuve océanique multicoques en équipage entre Cherbourg et Tarragone en Espagne, le 11 mai 2001 à Cherbourg.

Avec Marin, les mémoires de Gérard Petipas, on entre de plain-pied au cour de l'épopée Pen Duick avec Eric Tabarly, disparu en mer il y a tout juste vingt-cinq ans. Gérard Petipas, un «génie» selon Olivier de Kersauson, autre navigateur célèbre et truculent, mais également un «mystère» : «Il fait un boulot à bord qui nous est étranger. Nous n'allons jamais voir ce qui se passe à la table à cartes. La navigation, ou l'art de donner la position exacte du bateau en mer et le cap à suivre pour atteindre le but, ce job est pour nous «un truc de gonzesses», de paperassier. Nous, nous sommes sur le pont. Nous tenons la barre et nous manouvrons les voiles. Lui, il est en bas, «au bureau». Je ne l'ai jamais vu barrer. Je ne le vois dehors que lorsqu'il sort avec son sextant pour viser le soleil.»

Plus loin, le même «Kersau» écrit encore : «Il porte son impossible casquette de chauffeur de locomotive à vapeur, et alors que la mer nous bouscule, il réalise sa visée, impassible et concentré [.] Il entretenait «l'estime», magnifique terme pour dire qu'il évaluait, à force de travail, d'expérience et d'intuition, la route que nous avions réellement suivie. Et, chaque fois, il nous a menés pile sur la marque à contourner, au milieu d'une baie anglaise noyée dans le brouillard, ou d'un rivage français hérissé de cailloux.» «Je ne connais pas un bateau de cette époque qui ait réussi à gagner une seule grande course avec un navigateur de calibre ordinaire à bord», conclut le marin. Après, il ne reste qu'à lire «Gérard», et comprendre vite toute la modestie qu'il a mise dans l'ouvrage.

Qu'on en juge par cet extrait narrant un jour de tourmente. «Nous faisons route à vitesse réduite vers les Shetland. Le vent monte encore. Il est établi au-dessus de 60 nouds, avec par moments des rafales d'une brutalité inouïe. Lors d'une de ces surventes, notre anémomètre, l'instrument qui mesure la vitesse du vent, se bloque à 92 nouds. Hors de question de se tenir à l'extérieur, sur l'aileron de la passerelle. [.] L'un des deux radaristes éprouve le mal de mer. Mon remplaçant me rejoint, il a la mine défaite. Il est malade comme un chien et n'a pas fermé l'oil. De mon côté, je me sens encore en forme [.] Je lui propose donc d'assurer le quart à sa place. Je lui glisse : "si tu te sens mieux plus tard, tu viendras me remplacer" [.] Le jeune opérateur radio nous a rejoint. Il est assis dans un coin, manifestement mort de peur. Il ne cesse de me demander si on va s'en sortir [.] Le timonier n'est pas en grande forme non plus. Je décide donc de faire réveiller le maître d'hôtel du commandant, fils d'un pêcheur de Granville et lui-même du métier. Je suis sûr qu'il sera à la hauteur [.] Il me répond qu'il a été embarqué comme maître d'hôtel, non comme timonier.» Mais il finit par accepter.

Tout est écrit, dans cette histoire. Ce qui fait de ce Marin un homme et un ouvrage attachant.

samedi 17 juin 2023 06:54:09 Categories: Liberation

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