Le Monde

En Algérie, l'hymne national au service d'une campagne nationaliste

logo de Le Monde Le Monde 16.06.2023 19:54:27 Karim Amrouche
Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors d'une cérémonie officielle à l'aéroport d'Alger, le 27 août 2022.

Un décret présidentiel généralise aux « commémorations officielles » la liste d'événements soumis à la version intégrale du chant « Kassaman », incluant un couplet ciblant la France.

L'hymne national algérien doit désormais être chanté dans son entier lors des « commémorations officielles en présence du président de la République ». Le couplet enjoignant expressément la France à « rendre des comptes » sera donc inclus. Ainsi en a décidé, à Alger, un décret présidentiel daté du 21 mai.

Contrairement à ce que laissent entendre les médias algériens pro-régime, engagés de facto dans une campagne pour un second mandat du président Abelmadjid Tebboune, le texte ne « rétablit » pas l'hymne dans sa totalité. En réalité, le couplet sur la France n'a jamais été supprimé : deux versions de l'hymne, intégrale ou réduite (c'est-à-dire amputée dudit couplet), sont en usage selon les circonstances.

Le récent décret innove dans la mesure où il élargit la liste des événements obligatoirement soumis à la version intégrale. Selon le précédent texte, daté de 1986, c'est l'hymne réduit qui était chanté lors des commémorations officielles en présence du président de la République.

Kassaman (« nous jurons ») a été composé en 1955 par le poète et militant nationaliste Moufdi Zakaria depuis sa cellule de la prison de Barberousse, à Alger. Dans le troisième couplet, il est dit : « Ô France ! le temps des palabres est révolu. Nous l'avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi, voici notre réponse. »

En 1986, sous le président Chadli Bendjedid, l'idée de supprimer ce passage avait suscité une très vive controverse. Ceux qui, dans l'entourage du chef de l'Etat, estimaient que l'hymne national ne devait pas faire référence à l'ancien colonisateur s'étaient heurtés à l'opposition de la « famille révolutionnaire », notamment de l'Organisation nationale des moudjahidines. Un compromis avait finalement été trouvé, qui, sans toucher à l'intégralité de l'hymne, permettait de ne reprendre que le premier couplet dans les cérémonies impliquant des chefs d'Etat étrangers.

Le décret présidentiel de mars 1986 limitait en son article 3 l'exécution de l'hymne national dans son intégralité à l'ouverture et la clôture du congrès du Front de libération nationale (FLN, alors parti unique en Algérie) et à la cérémonie de prestation de serment du président de la République. Les chefs d'Etat français étaient ainsi préservés de ce passage où leur pays était cité de manière assez véhémente. Ce sera toujours le cas.

Aussi certains commentateurs relativisent-ils en Algérie la portée du nouveau décret. Ils relèvent par exemple que les « cérémonials militaires organisés au sein du ministère de la défense nationale » se verront désormais imposer la version réduite de Kassaman. Ce qui n'est pas rien dans un pays où l'armée est présentée comme la quintessence du nationalisme.

Quant au rétablissement de la version intégrale pour les commémorations officielles en présence du chef de l'Etat, s'il consacre une nouveauté sur le papier, la pratique était déjà répandue. L'hymne national est en effet souvent exécuté dans sa totalité. La mesure de M. Tebboune permet, sans vraiment remettre en cause le compromis de 1986, de jouer sur le thème nationaliste, privilégié plus que jamais par la communication du président.

La perspective d'une relance des relations algéro-françaises étant devenue floue avec le report de la visite de M. Tebboune en France, des médias algériens ont renoué avec des mises en accusations de la France. Parfois de manière grotesque, à l'image du journal francophone L'Expression et du titre arabophone El Khabar, qui ont publié fin mai des articles citant des « sources sécuritaires très sûres » et affirmant qu'une réunion ciblant l'Algérie a rassemblé à Tel-Aviv des « membres influents du Mossad, cinq responsables des services de renseignement français ainsi que douze responsables des services marocains ». De quoi susciter de vastes moqueries sur les réseaux sociaux.

En outre, la « campagne » de l'ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, contre le traité algéro-français de 1968 qui définit les conditions de circulation, de séjour et de travail des Algériens en France est appréhendée comme un signe que « l'Etat profond » en France ne veut pas d'une normalisation avec l'Algérie.

vendredi 16 juin 2023 22:54:27 Categories: Le Monde

ShareButton
ShareButton
ShareButton
  • RSS

Suomi sisu kantaa
NorpaNet Beta 1.1.0.18818 - Firebird 5.0 LI-V6.3.2.1497

TetraSys Oy.

TetraSys Oy.