Le Sénat a voté ce jeudi à l'unanimité une proposition de loi visant à mieux protéger les athlètes contre les violences sexuelles, qui devra désormais être examinée à l'Assemblée. La semaine dernière, Sébastien Pla, sénateur à l'origine de l'initiative expliquait sa proposition à « l'Obs », dans cet entretien que nous republions aujourd'hui.
Twitter - Sénateur Sébastien Pla on Twitter
Dans le cadre d'une commission d'enquête au Sénat, vous avez auditionné des dizaines d'acteurs du sport. Qu'en avez vous conclu ?
Plus que dans d'autres secteurs, l'omerta a régné dans le sport, au nom de la sacralisation de l'entraîneur et de la performance. Depuis les révélations de Sarah Abitbol dans « Un si long silence » en 2020, et le travail que vous avez effectué à « l'Obs », l'omerta a été brisée, la parole s'est libérée. Mais au fil de nos auditions, nous avons pris la mesure du chemin qu'il reste à parcourir. C'est un secteur où on manque de formation et d'information.
Vous insistez beaucoup sur la nécessité de renforcer le contrôle de l'honorabilité des intervenants en milieu sportif ?
Oui, c'est essentiel. En 2021, la loi confortant les principes de la République a introduit l'obligation pour les clubs, au moment de la prise de licence, de recueillir l'identité complète de toute personne susceptible d'exercer une fonction d'éducateur sportif ou d'intervenir auprès des mineurs. Les clubs transmettent alors les informations recueillies au référent honorabilité de chaque fédération, qui dépose ensuite la liste des personnes devant faire l'objet d'un contrôle sur une plateforme dédiée du ministère des Sports. Puis, l'Etat interroge le casier judiciaire national (bulletin n° 2), et le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS).
Ce système très lourd ne fonctionne pas bien, semble-t-il.
Pas totalement : sur 2 millions d'éducateurs, la cellule ministérielle reconnaît n'en avoir contrôlé que 925 000. A peine la moitié ! Nombre de présidents de clubs ne se sont pas approprié la procédure. Nous avons aussi constaté des anomalies dans la saisie des formulaires, qui retardent les décisions. Pendant ce temps, les prédateurs peuvent continuer à travailler au contact des enfants. Et enfin, nous avons découvert que les condamnations inscrites sur bulletin 2 du casier judiciaire s'effacent avec le temps ! Les condamnations ne sont plus visibles.
Que proposez-vous exactement ?
Notre objectif ultime est de faire en sorte que plus aucun intervenant en milieu sportif, placé au contact des mineurs, n'ait fait l'objet d'une inscription contraire au contact des enfants, ou fait l'objet d'une condamnation qu'il aurait omis de déclarer. Il ne faut pas se contenter de contrôler la personne lorsqu'elle est déjà dans le club, il faut la contrôler avant. Notre texte propose d'instaurer un contrôle d'honorabilité a priori de l'ensemble des bénévoles et des salariés par des présidents de club et fédération.
On dit que vous avez eu des oppositions au sein de la commission [de la culture, de l'éducation et de la communication ] qui a examiné votre proposition au Sénat ?
Oui. Par exemple, le fait d'étendre le contrôle à tous les intervenants - les parents qui accompagnent, le gars qui vient prendre des photos, celui qui sert à boire au bar - n'a pas été retenu. Certains ont soulevé que ce contrôle renforcé allait rendre plus difficile encore le recrutement déjà compliqué des bénévoles par les clubs. Même si j'ai pleinement conscience des craintes que ce texte peut susciter, la priorité est bien sûr de couper l'herbe sous le pied aux prédateurs sexuels ! Et je suis très content : aujourd'hui, la commission a rendu ses conclusions, qui ont été adoptées à l'unanimité. On a gagné la première mi-temps.
Quelles sont vos principales propositions ?
L'une des mesures importantes est le fait qu'avec une condamnation inscrite au FIJAIS, la personne ne puisse plus exercer, même si la condamnation a disparu du bulletin n°2 de son casier judiciaire, comme c'est déjà le cas dans le secteur social et médico-social par la loi Taquet (2022). Ça empêche l'effacement de la condamnation. Nous proposons aussi que les dirigeants de club aient l'obligation de signaler au préfet des comportements au sein de leurs clubs présentant un danger pour la sécurité ou la santé morale et physique des sportifs. Le préfet a la possibilité de suspendre, sans attendre une décision pénale. Les dirigeants sportifs qui couvrent ces violences doivent aussi pouvoir être sanctionnés administrativement. Il doit y avoir un référent éthique dans chaque club, et pas qu'au niveau des fédérations.
Et les prochaines étapes ?
Si le Sénat vote notre proposition de loi en séance publique le 15 juin, le texte partira en deuxième lecture à l'Assemblée. La ministre des Sports s'est engagée à ce qu'il y soit examiné dans les meilleurs délais. Sarah Abitbol, avec laquelle nous travaillons depuis plusieurs mois, lance aussi parallèlement une tribune, dont on espère qu'elle sera signée par de nombreux sportifs. Il faut continuer à mettre la pression sur les prédateurs, il ne faut pas lâcher. Ce n'est qu'un premier texte, il y en aura d'autres !
Article initialement publié le 8 juin 2023.