Liberation

Sara Mardini, dans le grand bain de l'humanitaire

logo de Liberation Liberation 09.06.2023 11:24:18 Maria Malagardis
Sara Mardini dans un bateau d'ONG venant en aide aux migrants.

Combats individuels ou collectifs, parcours et témoignages... ­Avec son programme « La vie en face », Arte propose tout l'été une collection de dix-huit documentaires sur les mutations de nos sociétés. Ils sont déjà disponibles sur arte.tv.

Sara Mardini est une héroïne des temps modernes. Les épreuves qu'elle a endurées et dont elle a triomphé, avant même d'atteindre ses 25 ans, résument l'un des principaux crimes de notre époque. Le sort réservé aux exilés qui, fuyant la guerre ou la misère, cherchent à atteindre les rivages de l'Europe en quête d'une vie meilleure. Or c'est désormais la mort ou la prison qui guettent trop souvent ceux qui rêvent simplement d'une vie meilleure.

L'histoire de Sara offre pourtant un fragile signe d'espoir. Parce qu'à chaque étape, elle a finalement gagné, malgré les souffrances imposées. Et en évoquant son destin singulier, cette jeune femme au tempérament de feu a su conquérir le public. Invitée dans d'innombrables conférences où ses paroles et sa détermination donnent envie de se battre à ses côtés.

La légende de celle qui se définit elle-même comme une «guerrière» a été forgée par un acte fondateur. Fuyant la guerre en Syrie, après le bombardement de sa maison et de son quartier, avec sa sour cadette Yusra, elle se retrouve en 2015 sur une embarcation dont le moteur tombe en rade pendant une périlleuse traversée entre la Turquie et la Grèce. Sans hésiter, les deux sours, nageuses de compétition depuis l'enfance, se jettent à l'eau et poussent la barque pendant trois heures et demie jusqu'à l'île grecque de Lesbos, sauvant ainsi la vie des 18 passagers. Cet épisode est désormais célèbre. Il a valu aux deux sours d'inspirer déjà une fiction, les Nageuses. Sara n'a alors que 20 ans, sa sour Yusra, 17 ans. Auréolées de la gloire de cet exploit, les deux sours seront accueillies en Allemagne à Berlin. En 2017, Yusra est nommée ambassadrice de bonne volonté par le Haut-Commissariat aux réfugiés, la plus jeune jamais désignée à ce poste par cette organisation. L'année précédente, la sour cadette de Sara avait concouru aux Jeux olympiques de Rio pour les épreuves de natation au sein de la première délégation de réfugiés invitée à participer à cette compétition. L'histoire aurait pu s'achever sur ce happy end.

Mais hélas, la réalité d'une Europe forteresse va rattraper Sara. Lorsqu'elle va retourner à Lesbos, pour aider à son tour à secourir les naufragés qui échouent sur l'île. Cette solidarité, vitale à ses yeux, sera vite entravée.

Le 21 août 2018, elle est arrêtée par la police grecque en compagnie d'un de ses collègues, Seán Binder, un jeune bénévole comme elle, Allemand d'origine irlandaise. Le duo sera aussitôt incarcéré à la prison de haute sécurité de Korydallós dans la banlieue d'Athènes. Avant d'être relâchés trois mois et demi plus tard contre une caution de 5 000 euros. Tous deux sont expulsés du pays, mais seule Sara a interdiction d'y retourner jusqu'en 2025. Accusés pêle-mêle d'appartenir «à une organisation criminelle», de «blanchiment d'argent», de «trafic de migrants», et même d'«espionnage», les deux jeunes gens ainsi que 22 autres coaccusés vont dès lors attendre pendant plus de trois ans la tenue d'un improbable procès. Le documentaire déroule avec une pudeur intimiste cette longue attente qui pèse comme une épée de Damoclès et paralyse la vie de Sara, autant que celle de Sean.

La jeune femme, pétillante et impulsive, y exprime ses peurs : cette menace d'une condamnation à vingt-cinq ans de prison qui l'empêche d'imaginer l'avenir. Mais aussi sa colère impuissante face à une situation si injuste. Tout autant que ses exutoires : danser pour décharger un trop-plein d'énergie angoissée. Mais aussi, bien sûr, la natation. Plonger dans le «bleu de l'eau» d'une piscine qui représente pour elle «la couleur de la vie». Cette couleur qui est aussi celle de l'abîme qui entraîne la mort: au moins 441 candidats à l'asile se sont noyés dans la Méditerranée au cours du premier trimestre 2023, le plus meurtrier depuis 2017. «Il n'y a rien de mal à vouloir sortir de l'eau ceux qui sont en train de se noyer», s'insurge Sean, son compagnon d'infortune. Mais les valeurs sont désormais inversées et les ONG sont de plus en plus découragées à sauver ceux qui se noient.

Fin janvier, après un début de procès raté en novembre 2021, les charges sont pourtant toutes abandonnées. Une petite victoire face au cynisme et à l'inhumanité, alors que chaque jour des hommes masqués continuent à traquer les malheureux qui échouent sur les côtes grecques avant de les renvoyer en Turquie. En toute illégalité, dans un monde devenu sans pitié.

vendredi 9 juin 2023 14:24:18 Categories: Liberation

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