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Turquie : Erdogan forever

logo de Liberation Liberation 29.05.2023 09:32:26 Killian Cogan
Dans les rues d'Istanbul dimanche 28 mai 2023 après l'annonce de la victoire électorale d'Erdogan.

Fumigènes, drapeaux, tambours et zurna, en cette soirée de dimanche 28 mai. Une foule en liesse a pris d'assaut le quartier de Sütlüce sur la rive européenne d'Istanbul, où se trouve le QG du Parti Justice et Développement (AKP). Le Conseil électoral supérieur (YSK), l'institution chargée des processus électoraux en Turquie, vient d'annoncer la victoire de Recep Tayyip Erdogan à 52,14 % des voix contre 47,86 % pour le candidat d'opposition Kemal Kiliçdaroglu, à l'issue du second tour de l'élection présidentielle. Au terme de ce scrutin, qui a enregistré un taux de participation de 84 %, le siège de l'AKP à Istanbul s'apparente à une gigantesque fête populaire.

Parmi les milliers de personnes venues célébrer la victoire d'Erdogan, beaucoup font le signe des Loups Gris, un symbole ultranationaliste turc, ou encore celui de la «Rabia», le geste de ralliement des Frères musulmans. «Yallah, Bismillah, Allah Akbar !», scande la foule, tandis que les routes jouxtant le GQ du parti sont le théâtre d'un interminable convoi de voitures, de motos et d'engins de construction qui paradent orgueilleusement en klaxonnant et en brandissant des étendards du «Reis» paré des armoiries ottomanes. Au milieu d'une marée de drapeaux turcs, des grappes de supporters dansent sur le tube de campagne du leader turc.

«On va déclencher la troisième guerre mondiale ! Tant qu'Erdogan sera avec nous, on ne fera de concessions à personne, s'exclame Eren, 20 ans, un étudiant en médecine, depuis le siège de l'AKP. Grâce à lui, la Turquie va continuer à se développer économiquement et à gagner en puissance. On va faire la guerre au monde entier. Vous allez tous vous incliner devant nous !», présage-t-il, bravache.

Réélu pour un mandat de cinq ans, le président turc a prononcé un discours de victoire, aux alentours de minuit, depuis son fastueux palais présidentiel à Ankara. «Les organisations terroristes et les mouvements déviants qui se sont dressés contre nous depuis des mois ont échoué», s'est-il félicité, en mobilisant son habituel registre de la citadelle assiégée. «Les magazines allemands, français et britanniques n'ont-ils pas lancé des couvertures pour détruire Erdogan ? Ils ont aussi perdu ! Notre nation s'est prononcée en faveur du 'siècle turc'», a-t-il lancé triomphalement, invoquant cette fois un concept revanchiste selon lequel le XXIème consacrerait l'hégémonie mondiale de la Turquie sous son égide.

Des rêves de grandeur qui semblent transporter Gamze, conseillère financière de 46 ans venue participer aux célébrations au QG de l'AKP à Istanbul. «Avant Erdogan, les gens ne pouvaient pas placer la Turquie sur une carte. Cela a changé, et au cours des prochaines années, nous prendrons des décisions majeures à l'échelle mondiale, prévoit-elle. Cette victoire est un revers infligé aux puissances étrangères comme les Etats-Unis et l'Angleterre qui cherchent à nous miner en s'alliant avec les groupes terroristes. Erdogan leur a montré de quoi on est capables», ajoute encore cette quadragénaire exaltée.

Alors que les supporters de Recep Tayyip Erdogan inondaient les rues d'Istanbul, un fatalisme amer s'abattait sur les partisans de Kemal Kiliçdaroglu. «En dépit de toutes les pressions, la volonté du peuple d'en finir avec l'autoritarisme s'est manifestée par cette élection», a déclaré le chef de l'opposition dans la soirée depuis le siège du Parti républicain du peuple (CHP) à Ankara. «Nous continuerons à lutter jusqu'à ce la démocratie soit rétablie. Notre marche continue» a-t-il promis.

Mais cette lutte, Mesut n'y croit plus. «C'est fini. Nous ne pouvons plus rien faire, je n'ai plus aucun espoir pour la Turquie. Moi je suis trop vieux pour ça, mais je souhaite aux jeunes de partir à l'étranger. Désormais, c'est tout ce qu'il reste à faire, souffle ce chauffeur de taxi de 62 ans qui a voté pour Kiliçdaroglu. En tant que retraité, je dois encore travailler douze heures par jour pour m'en sortir, je ne comprends pas comment ces gens peuvent continuer à voter pour lui avec cette crise économique. Mais il faut croire qu'ils veulent toujours de lui».

Après vingt ans au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan parait plus indétrônable que jamais. En début de soirée, il assurait d'ailleurs à ses supporters : «Je vous l'avais bien dit, je serai avec vous jusqu'à la tombe».

lundi 29 mai 2023 12:32:26 Categories: Liberation

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