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Cannes 2023 : Benjamin Lavernhe convaincant en Abbé Pierre dans un biopic qui l'est beaucoup moins

logo de GQ GQ 27.05.2023 14:32:35 Adam Sanchez

C'est devenu une petite habitude au Festival de Cannes. Après le passage tonitruant des Américains et des grosses machines hollywoodiennes, la Croisette offre au cinéma français l'occasion de présenter quelques-unes des productions qui feront l'actualité en salles dans les prochains mois. Il y eut Novembre de Cédric Jimenez et Mascarade de Nicolas Bedos l'an dernier, le troisième volet d'OSS 117 du même Nicolas Bedos en 2021. La super-production francophone présentée lors de cette 76ème édition, si on peut la qualifier ainsi, vient d'un genre que le public français apprécie tout particulièrement : le biopic. Devant la caméra de Frédéric Tellier (Sauver ou périr, Goliath), Benjamin Lavernhe incarne Henri Grouès, le capucin aux mille vies que le commun des mortels a connu sous le nom d'Abbé Pierre.

Relatant les nombreuses étapes de sa vie, de son entrée dans les ordres jusqu'à son passage chez les résistants durant la Seconde Guerre mondiale, sans oublier son engagement contre la pauvreté avec l'association Emmaüs, L'Abbé Pierre - Une vie de combats tend à retranscrire la multitude de vies traversées par le prêtre et député disparu en 2007 à l'âge de 94 ans. Figure croyante, combattante mais aussi souffrante, portée au rang de super-star par sa parole magnétique et émouvante : le long-métrage de Frédéric Tellier ne loupe aucune étape pendant près de deux heures et quart, en suivant scolairement le cahier des charges du biopic contemporain. L'image y est sépia ou grisâtre (selon l'humeur du moment), le récit empreint d'un sérieux démiurgique et Benjamin Lavernhe, de tous les plans et de toutes les perruques, se donne corps et âme dans son interprétation, tentant comme il le peut de restituer la foi teintée d'inquiétude de l'Abbé Pierre. À ses côtés, Emmanuelle Bercot campe Lucie Coutaz, la confidente et co-fondatrice d'Emmaüs avec qui il mènera de longs combats, tandis que Michel Vuillermoz interprète un touchant Georges Legay.

Devenu "voix des sans voix" et témoin de toutes les atrocités du 20ème siècle (la guerre, l'indifférence des gouvernements face à la misère et encore la guerre), l'Abbé Pierre est ici représenté comme une figure pétrie de contradictions. Élevé dans un environnement bourgeois à Lyon (et régulièrement critiqué pour son bagage socio-culturel), à la fois parangon de résilience et personnalité auto-destructrice, le film de Frédéric Tellier essaye, autant qu'il le peut, de ne pas sombrer dans l'hagiographie pure et simple en y intégrant une touche de colère politique au milieu d'images larmoyantes. Sauf que la mise en scène du réalisateur devient vite la pire ennemie au film lui-même. Surchargée en effets clinquants et maladroitement signifiants (des effets de flou autour de l'image ou, sommet de modernité, des split-screens), L'Abbé Pierre - Une vie de combats s'affirme comme un grand spectacle balourd, tout en démonstrations de force et chemins de croix, pétri de certitudes quand il devrait être un film de doutes, de remises en cause et de piétinements - ce qu'il effleure timidement pour mieux se focaliser sur l'éternelle lutte entre oppressés et oppresseurs, la figure de sauveur face à la médisance des puissants.

Symbole de cet échec de cinéma cuisant, une séquence onirique ouvre et conclut le film. Basé sur des vraies déclarations de l'Abbé Pierre, le monologue, recouvert d'effets spéciaux immondes, restitue avec beaucoup de précision la difficulté du film à évoquer la foi religieuse de son héros, voire même questionner sa peur de l'échec, sans virer au prêchi-prêcha pontifiant. Il y avait certainement dans ce bazar savamment orchestré, tout entier fabriqué pour séduire et émouvoir quelques millions de spectateurs en salles et à la télévision, un très beau film à faire sur la figure militante de l'Abbé Pierre, son anti-pacifisme acharné et sa conviction que la prise de conscience ne passera que par la force pour les personnes qui mènent le monde (prendre la parole où on ne veut pas qu'elle soit entendue, trouver l'argent dans les bourses cousues de la bourgeoisie). Un film qui aurait pu tout simplement communiquer avec les considérations de son temps, en lieu et place d'un gros spectacle lassant qui mêle leçons d'histoire et imagerie super-héroïque. Peut-être placions-nous trop d'attentes sur les épaules d'un film de cette trempe-là.

L'Abbé Pierre - Une vie de combats, un film réalisé par Frédéric Tellier, avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot et Michel Vuillermoz, 2h18. À découvrir dès le 15 novembre 2023 au cinéma.

samedi 27 mai 2023 17:32:35 Categories: GQ

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