Metrotime

Rencontre avec Bernard Minier pour «Un oil dans la nuit»: «Le cinéma d'horreur est un espace de liberté ultime»

logo de Metrotime Metrotime 10.05.2023 06:31:48 Oriane Renette

« Je les emmène dans les montagnes, dans mes Pyrénées. Donc malheureusement, c'est en voiture, on n'a pas le choix ! On suit une route sinueuse qui traverse des forêts obscures. À un moment, on se retrouve aussi sur une île bretonne. On s'y rend avec un petit canot à moteur alors que c'est presque la tempête. Ça secoue ! »

« Je n'oublie jamais cette phrase parfaite de Didier Van Cauwelaert : 'dans l'écriture, un plan est comme une route : c'est fait pour être quitté'. Je suis un plan, une route chapitre après chapitre mais de temps en temps, je m'en écarte un peu. Parce que pour surprendre le lecteur, il faut d'abord se surprendre soi-même. »

« J'ai évidemment regardé les grands classiques du genre : 'L'Exorciste', 'Shining', 'Psychose', 'Rosemary's Baby'. mais je n'étais pas vraiment un spécialiste. Je le suis devenu pour écrire 'Un oil dans la nuit' puisque j'ai visionné plus de 200 films d'horreur. J'en ai sélectionné 150 pour une liste que l'on retrouve à la fin du roman.

« Je suis un écrivain diurne : j'écris le jour et je regardais les films la nuit. Et heureusement : si je regardais des films d'horreur en pleine journée, je pense que mes voisins auraient trouvé ça assez glauque (rires) ! Soir après soir donc, un ou deux films d'horreur. Et ça pendant des mois. Je suis sorti de là un peu changé, un peu étrange. »

« Oui, le thriller joue sur toutes sortes de peurs : de la mort, de la solitude, de vieillir, de l'échec. Et puis sur nos peurs collectives, notamment celle du futur. Le futur est assez anxiogène de nos jours. Le cinéma d'horreur joue sur la terreur. Mais ce qui m'intéresse surtout dans ce genre-là, c'est qu'il est jusqu'au-boutiste. Tout est permis. Il peut tout montrer. Le spectateur peut tout voir. Dans une époque où on a des barrières partout, y compris au niveau de la liberté d'expression, le cinéma d'horreur est un espace de liberté totale. »

« Il y a littérature et littérature de genre, où l'on peut dire plus de choses. Mais c'est vrai que le cinéma d'horreur va beaucoup plus loin. Il est encore plus transgressif, plus viscéral. Le cinéma d'horreur est un des derniers espaces de liberté ultime, où toutes les transgressions sont permises. Dans les autres genres, cinématographiques ou littéraires, c'est fini ça. On ne peut plus tout se permettre.

Même si dans le thriller on va déjà loin, je pense que certains auteurs, malgré tout, s'autocensurent. Dans ce roman en particulier, j'ai essayé d'aller très loin, avec quelques scènes plutôt transgressives. Presque irreprésentables au cinéma, même dans un film d'horreur. Donc c'est quasiment l'inverse : ça peut être écrit. Mais difficilement filmé. Et c'est pour ça que je l'ai écrit. »

« Je me suis beaucoup amusé à le créer. Je me suis inspiré effectivement de ces cinéastes tyranniques qui poussent leurs acteurs à bout sur les tournages : Tarantino, Kubrick qui maltraitait Shelley Duvall sur 'Shining', William Friedkin qui était horrible sur le tournage de 'L'Exorciste', Clouzot qui maltraitait Bardot sur 'La vérité', à tel point qu'elle a fait une tentative de suicide après la fin du tournage. Morbus Delacroix est un mélange de ces cinéastes un peu fous, un peu barrés. Il est excessif, misanthrope, provocateur. Génial aussi. Ce personnage, c'est du pain béni pour un auteur. »

« Ce qui m'a aussi plu dans le cinéma d'horreur, c'est qu'il ne donne pas de leçons. Les gens en ont marre des donneurs de leçons. Parce qu'aujourd'hui, il y en a partout. Je considère que le genre dans lequel je sévis, le thriller, tout comme le cinéma de genre, non, n'est pas là pour livrer des messages. En revanche, on ne peut pas éviter la peinture sociale en filigrane. J'ai forcément un point de vue et une subjectivité. Mais il n'y a pas de message au sens idéologique. Milan Kundera disait que l'esprit du roman, c'est l'esprit de complexité. De dire que les choses sont toujours plus compliquées que ce qu'on pense. C'est l'inverse du message simplificateur, c'est l'inverse du manichéisme. Or, dès qu'on est dans une idéologie, on finit toujours par être manichéen. »

« Évidemment, il y a des techniques pour maintenir l'intérêt du lecteur, pour créer le suspens, les fameux cliffhangers. Je respecte les codes du genre mais j'essaie toujours d'y mettre des choses en plus. Ce qui importe, c'est ce qu'on fait en plus à l'intérieur du cadre. Ce qui nous différencie. Il n'y a pas de recette. La seule qui existe, c'est l'honnêteté dans les personnages. Il ne faut pas tricher avec eux. Ils ne sont pas là pour servir l'intrigue mais doivent exister pour eux-mêmes. On ne peut pas leur faire faire n'importe quoi. »

« Servaz n'est pas en grande forme. Avec des soucis dans sa vie privée. Et cette enquête va le mener très loin dans les épreuves. Avec, à un moment donné, l'horreur absolue pour lui. Et je pense que mes lecteurs fidèles vont être assez bouleversés par ce qu'il se passe. »

« Envahissante, déjà ! Exigeante, parce qu'il faut à chaque fois se renouveler. Et pour cela, compliquée, parfois. C'est pour ça que j'ai lancé ma nouvelle héroïne Lucia (que l'on retrouvera dans le prochain roman), pour pouvoir me reposer de temps en temps de Servaz. Ma relation avec lui est gratifiante aussi, parce qu'une part de mon succès je le dois à ce personnage. Je lui suis infiniment reconnaissant. »

 Retrouvez toute l'actu sur Metrotime.be

mercredi 10 mai 2023 09:31:48 Categories: Metrotime

ShareButton
ShareButton
ShareButton
  • RSS

Suomi sisu kantaa
NorpaNet Beta 1.1.0.18818 - Firebird 5.0 LI-V6.3.2.1497

TetraSys Oy.

TetraSys Oy.