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Au procès de Bernard Laporte, l'ombre d'un président de l'ovalie juge et partie

logo de Liberation Liberation 12.09.2022 20:21:27 Renaud Lecadre
Bernard Laporte avec ses avocats, le 7 septembre à Paris.

Bernard Laporte, garant de l'intérêt général de l'ovalie?? La question pourrait prêter à sourire, tant sont nombreux les conflits d'intérêts du président de la Fédération française de rugby (FFR) - accusations qu'il rejette en bloc. Lundi après-midi, le tribunal correctionnel de Paris, en charge des poursuites pénales pour «prise illégale d'intérêt» et accessoirement pour «corruption», en lien avec ses relations contractuelles avec le président du Montpellier Hérault Rugby (MHR, lauréat 2022 du Top 14), s'est penché sur une satanée problématique de report de matchs.

Nous sommes en mars 2017, trois mois après l'élection de Laporte à la présidence de la FFR, mais parallèlement à sa signature d'un contrat rémunéré avec Mohed Altrad, président du MHR et patron d'un groupe de BTP. En cause, le projet de fusion entre les deux clubs parisiens du Top 14, le Stade Français (dont Laporte fut autrefois l'emblématique demi de mêlée puis coach) et le Racing 92. La Ligue nationale de rugby (LNR) décide illico de suspendre les matchs des deux équipes?: Castres-Stade Français et Montpellier-Racing. Sage décision que la FFR s'empressera illico de censurer.

S'agissant du premier match, il n'y a pas photo?: les joueurs du SF s'étaient légitimement mis en grève, leur club étant menacé de disparition sous forme de fusion-absorption. Leur président vendeur, Thomas Savare, les aura toutefois prévenus?: «Allez au bout de votre démarche, mais vous aurez zéro point», match perdu sur tapis vert. La LNR, dans sa grande sagesse, se contentera d'un report du match. Il en va différemment du second, les joueurs du Racing n'étant officiellement pas en grève.

Le diable sait pourquoi Bernard Laporte, l'homme fort du rugby tricolore, s'est obstiné mordicus à réformer la décision de la LNR, du moins sur le second match. A la barre du tribunal, il donne cette première réponse sportivement et socialement correcte?: «Reporter le match MHR-Racing dans la foulée serait revenu à annihiler la grève des joueurs du SF contre Castres.» Bonne réponse, suivie d'une moins convaincante?: le MHR risquait de perdre tous ses frais «d'hospitalité» engagés avant la réception du Racing. La FFR soutiendra jusqu'à l'obstination le maintien du match Montpellier-Racing, au point d'y dépêcher un arbitre en vue de constater l'absence des joueurs franciliens. Pour mieux donner - sur tapis vert - les cinq points de la victoire à l'équipe d'Altrad?? Finalement, après moult imbroglios juridiques, les deux matchs seront finalement rejoués, cette fois sur le pré.

Tout à son souci de décorréler ses décisions visant le MHR, en tant que président de la FFR, de sa relation contractuelle très particulière avec Mohed Altrad, au nom de son holding AIA (Altrad Investment Authority) - il a notamment perçu 150?000 euros pour sa participation à des ­séminaires internes du groupe -, Bernard Laporte revient plus généralement et à plusieurs reprises sur les conflits de pouvoirs entre la FFR et la LNR?: «Nous étions en guerre, il fallait instaurer un rapport de force. L'institution suprême, c'est la Fédération?!» Et donc revisiter les moindres décisions de la Ligue?? Sauf que la première censure du genre concernait Altrad et Montpellier.

La présidente du tribunal et le représentant du Parquet national financier (PNF) prennent un malin plaisir à recenser les multiples interventions de Mohed Altrad auprès de Bernard Laporte afin d'avoir gain de cause, avant, pendant et après la décision de la FFR. L'homme d'affaires l'aura admis en cours d'enquête?: «Bernard Laporte m'a bien appelé, nous sommes tombés d'accord pour maintenir le match.» Et même quand la Fédé tentera une paix des braves avec la Ligue, en juin 2017, son projet de lettre visant à «apaiser les relations» sera préalablement soumis pour avis au taulier du MHR. En cours d'enquête, Bernard Laporte aura dû concéder sur PV?: «Altrad est haï par la LNR, donc c'est un bon allié pour nous.»

Question faussement naïve du tribunal?: «Lorsqu'on est censé défendre l'intérêt général du rugby, est-il normal de demander son avis à un club ami??» Le président de la FFR reste droit dans ses bottes?: «Je connais pratiquement tous les présidents du Top 14, sauf deux ou trois qui s'opposaient à mon élection à la FFR.» Et de citer Mourad Boudjellal, son ancien taulier au RC Toulon. Mais pas le président du Racing, «qui veut commander la LNR». On l'aura compris?: si Bernard Laporte a bien signé en 2017 un contrat avec Mohed Altrad, il ne l'aura pas fait avec Jacky Lorenzetti.

lundi 12 septembre 2022 23:21:27 Categories: Liberation

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